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maladies mentales. On remarquera que les illusions y sont partout motivées, et que l’halluciné fait acte de conscience précisément parce que, à tous les autres égards, il est en communication avec l’extérieur. C’est là ce qui leur donne un caractère de cohérence qu’on rencontre bien rarement dans les rêves. Mais il est des folies d’une nature toute différente. Les déments et certains fous mélancoliques, dont l’état tient principalement à une anémie ou à un épuisement du cerveau, ont des idées dont la bizarrerie ne le cède nullement à celle de nos songes. Un jardinier qui porte une botte d’osiers se transforme à leurs yeux en un gendarme qui conduit leur ennemi en prison. J’ai connu une jeune mère qui, affaiblie par des accouchements successifs, perdit momentanément la raison. Elle s’imaginait, par exemple, que les poulets que troussait la cuisinière étaient ses propres enfants, et rien n’était plus déchirant à voir et à entendre que ses angoisses maternelles. Il y avait là l’une de ces superpositions d’images dont j’ai parlé plus haut. Il faut chercher l’explication de ces cas et d’autres analogues dans l’engourdissement de la réceptivité, ce qui établit un rapprochement entre ces sortes de maladies et le sommeil.

Il n’entre pas dans mon sujet de rechercher les causes possibles de la folie. Pourtant la question peut être envisagée sous un point de vue tout théorique et tout psychologique. Il ressort de ce que j’ai dit jusqu’à présent que les hallucinations peuvent tenir à deux causes au plus. Ou bien elles proviennent de ce que les conceptions erronées ont acquis un éclat comparable à celui des perceptions, ou bien de ce que, au contraire, la faculté de percevoir s’est affaiblie au point que les images réelles sont grises et ternes autant que les images fictives. Il est possible que souvent ces deux causes agissent à la fois ; c’est un point que je n’ai pas à examiner.

Mais, quoi qu’il en soit, on peut étendre aux divagations de l’insensé la définition qu’Aristote donne des rêves, en l’élargissant un peu, et dire qu’elles appartiennent au fou en tant qu’il est fou. Entre les conceptions du fou et celles de l’homme sensé il n’y a donc pas de différence sous le rapport psychologique ; la différence est physiologique, et, pour préciser davantage, purement pathologique.

J’aborde maintenant les autres questions qu’il me reste à traiter. La première est celle de savoir à quel caractère on peut reconnaître pratiquement une conception d’une perception, du moment qu’elles ont l’une et l’autre le même éclat. La réponse est bien simple. La conception est toute personnelle, la perception est commune à tous. Les gravures qui sont dans ma chambre, tout le monde