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delbœuf. — le sommeil et les rêves

torne pour des princesses[1], et des marionnettes pour des personnages en chair et en os. La raison de leurs illusions nous est connue : c’est que les vaines images de leur cerveau les frappent avec la même vivacité que les images réelles. Et, s’ils ne doutent pas de la vérité de celles-ci, pourquoi douteraient-ils de la vérité des autres ?

Dans la chambre où j’écris ces lignes sont accrochées sur le mur en face de moi des gravures. Je suis absolument certain qu’elles sont là. Or, si je voyais tous les jours au-dessus d’elles ou à côté d’elles d’autres gravures qui pourtant n’existeraient pas, si je m’imaginais les toucher, les décrocher, les épousseter, si je croyais me rappeler d’où et comment elles me sont venues, je devrais logiquement croire à leur existence. Je suis et je me sens éveillé quand je vois les premières, pourquoi devrais-je croire que je rêve quand je vois les secondes ? Ma toi erronée n’a-t-elle pas pour garant ma foi légitime ? L’affirmation de mes proches que ce serait là une idée délirante pourrait momentanément jeter un certain trouble dans mon esprit ; mais je me persuaderai bien plus facilement et bien plus raisonnablement qu’ils ont fait le complot de se moquer de moi, que je ne révoquerai en doute le témoignage constant de mes sens[2]. Si je ne sais pas comment ces tableaux sont venus là, je croirai plutôt à un défaut de mémoire qu’à une erreur continue. Si enfin ces tableaux se refusent à se laisser décrocher, je serai plongé dans une grande inquiétude. Je me dirai que je suis le jouet d’un mauvais rêve ; si j’ai été élevé dans des idées superstitieuses, je soupçonnerai une intervention des puissances diaboliques ; si enfin j’ai l’expérience que de pareilles illusions peuvent être l’effet d’une maladie, je me rendrai compte de mon état, je m’en tourmenterai probablement, comme aussi il pourra se faire que j’en prenne mon parti. On connaît l’abîme de Pascal et l’enfer de Descartes. C’est à cette conclusion que je m’arrêterai presque certainement si les apparitions sont passagères, intermittentes ou périodiques, les raisons de douter étant, dans ce cas, plus puissantes que les raisons de croire.

Je viens de passer rapidement en revue les diverses sortes d’hallucinations, depuis la folie caractérisée jusqu’à la plus simple des

  1. Don Quichotte, chap. XVI. Il faut relire ce délicieux chapitre, où le mélange de la fiction et de la réalité abuse si bien l’illustre chevalier de la Manche.
  2. « Après avoir vainement lutté contre cette puissance qui le domine, il (le malade) est conduit le phis souvent à des explications erronées ; il attribue, par exemple, les idées qui l’obsèdent à un être étranger. » (Baillarger, cité par M. Alfr. Maury, op. cit., chap. VII, 158.)