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delbœuf. — le sommeil et les rêves

La folie, dont je vais dire quelques mots, a sa place marquée au point de vue où je me place, entre le rêve et la rêverie : les conceptions du fou en tant que fou, ont le même éclat que ses perceptions.

On se rappelle l’excellente Perrette s’abusant des perspectives les plus riantes, et se voyant déjà en possession d’une vache et de son veau. Supposons que la brave femme se figure qu’elle les possède réellement, et nous aurons devant nous une pauvre hallucinée. Trompée à la fois par tous ses sens, non seulement elle les verra paître, mais elle les entendra mugir, elle traira sa vache dans des seaux imaginaires, et rangera dans une crémerie qui n’existe pas des terrines de lait et des mottes de beurre qui n’existeront pas davantage.

Il pourra se faire cependant que la vue seule soit le siège de l’erreur. Alors la malheureuse ne réussira jamais à mettre la main sur ses bêtes, qui s’enfuiront à son approche. Elle se dira, dans sa folie, qu’un malin génie la tourmente et l’empêche d’exercer son office de fermière ; elle finira par s’expliquer la chose d’une façon vraisemblable à ses yeux, et Dieu sait jusqu’où la logique des suppositions peut la conduire.

On connaît ce genre de spectacle dont tout l’intérêt repose sur une illusion d’optique. Sur la scène se meuvent des acteurs réels et aussi des ombres insaisissables dont le corps n’offre aucune résistance aux épées et aux massues, qui apparaissent subitement et qui disparaissent de même. Admettons pour un instant que l’acteur puisse être victime de ce jeu de scène. Il aura devant lui un personnage qu’il verra, mais qu’il ne pourra toucher. Se dira-t-il que c’est une illusion ? Peut-être. Mais où sera le sens abusé ? Sera-ce la vue qui voit ce qui n’existe pas, ou le toucher qui ne touche pas ce qui existe ? Appuyé sur l’expérience, il est possible qu’il finisse par se persuader d’une erreur dans ses perceptions visuelles ; mais il est possible aussi qu’il en perde la raison.

Le malheureux insensé qui croit avoir le ventre rempli de grenouilles et de crapauds, et qui, lorsque vous cherchez par démonstration à le guérir, les empoigne avec ses mains, vous les met devant les yeux ou vous les jette à la face, est victime d’une triste illusion, sans doute ; mais comment pourrait-elle ne pas se produire ? Les fondements de notre croyance aux choses réelles sont-ils d’une nature différente ? De là cette conclusion, à première vue paradoxale, mais néanmoins de la plus rigoureuse exactitude : c’est que l’halluciné obéit à une loi naturelle quand il croit à la véracité des images fantastiques qui hantent son esprit. En cela, il se conduit