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delbœuf. — le sommeil et les rêves

n’existait pas. La petite se mit alors à le décrire d’une manière détaillée, définit très exactement la place où il était rangé ; sa grand’mère le lui avait montré et lui avait promis de le lui donner, si ses parents le voulaient bien. Nous eûmes toute la peine du monde à la convaincre que tout cela n’était qu’un rêve. C’est qu’aussi ce rêve était si bien enchaîné et se rattachait par tant de liens aux choses usuelles !

Moins l’intelligence de l’enfant est développée, moins il est choqué des invraisemblances. J’avais entre quatre et cinq ans ; je venais de perdre mon frère aîné, plus âgé que moi de six ans. Ce frère avait de beaux soldats et d’autres jouets dont il avait le plus grand souci et qu’il avait la précaution de mettre hors de ma portée. Je n’ai nulle souvenance de sa maladie ni de sa mort. Je me rappelle seulement qu’un jour je demandai à ma mère où était Henri, et elle me répondit qu’il était à la campagne. Je convoitais ces beaux joujoux qu’on avait pieusement déposés dans une armoire. Et une nuit je rêvai que dans cette armoire se trouvaient des marionnettes, des arlequins (je les vois encore aujourd’hui) doués de la parole ! À mon réveil, je les demandai avec prière, avec instance. Ma mère eut beau tâcher de me faire comprendre l’absurdité de cette imagination ; pour moi, ce n’était pas un rêve, et je restai dans la persuasion que le motif de son refus était de perpétuer les traditions de mon frère, et que l’usage de ces merveilles me resterait à jamais interdit.

L’illusion naît donc de la vivacité et de la logique relative des impressions. Je n’ai pas besoin de faire remarquer que, pour que l’illusion subsiste après le réveil, il faut encore d’autres conditions. Si ma petite avait vu le joujou dans un appartement de fantaisie et non dans ce grenier qu’elle connaît dans ses moindres détails, si elle avait parlé non à sa grand’mère, mais à une personne inconnue, ou si elle ne l’avait pas vue avec sa figure et ses habits ordinaires, elle eût pu facilement reconnaître qu’elle était la dupe d’un rêve. Il faut donc, à tout le moins, pour que l’erreur soit permanente, que les plus petits détails du rêve soient conformes à la réalité et à la vraisemblance ; il faut en outre qu’ils se projettent sur le fond de notre vie de tous les jours. Or, comme nous l’avons vu, la scène du rêve se dessine sur un fond vague et uniforme ; elle est isolée. Tels sont les tableaux des écoles primitives peints sur or, ou ces groupes dansants qui ornent les murs des maisons de Pompéi, et dont on ne sait s’ils sont en l’air ou sur le sol.

Quand je me promène dans les rues de la ville que j’habite, je suis soumis à des impressions qui sont en partie toujours les mêmes. Si j’y rencontre une personne de connaissance et que je lui adresse