Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VIII.djvu/511

Cette page n’a pas encore été corrigée
505
delbœuf. — le sommeil et les rêves

conception de la perception, et l’on peut dire d’une manière générale que la conception dans le rêve a encore moins d’éclat absolu que dans la veille. C’est l’affaiblissement graduel des impressions qui fait que le passé lointain nous apparaît comme un long rêve, et parfois les traces des événements deviennent si ténues qu’on se demande s’ils ont eu réellement lieu, ou si l’on n’y a pas assisté en songe.

Je m’écarte en cela de l’opinion généralement reçue. Écoutons Garnier[1] : « Ce que nous avons dit de la rêverie va nous aider à nous rendre compte du rêve. Les conceptions du rêve ont encore plus de relief et de netteté que celles de la rêverie, parce que la perception est encore plus absente du sommeil que des préoccupations les plus profondes de l’état de veille. En même temps que le sommeil nous gagne, nos perceptions nous quittent peu à peu… Le règne de la conception commence : ses objets paraissent des réalités : aucune perception ne vient par son contraste faire reconnaître la conception pour ce qu’elle est. Mais, lorsque les organes se dégagent naturellement des liens du sommeil, ou qu’une forte impression nous en délivre tout à coup, la perception se fait et le rêve s’évanouit. C’est donc encore par le contraste de la perception et de la conception qu’on les distingue l’un de l’autre. »

Voilà qui est à peu près admissible, à condition toutefois qu’on n’accorde pas à la conception. même en rêve, la même intensité de couleur qu’à la perception. Mais, plus haut, l’auteur nous apprend que « la différence entre la perception et la conception ne tient pas à la vivacité de l’une et de l’autre ; elle n’est pas une différence de degré, mais une différence de nature, » et, d’après lui, les conceptions des rêves sont tellement nettes que, parlant de la folie, il dit : « Tout le temps que dure la folie, la conception prend la même vigueur et pour ainsi dire la même saillie que dans les rêves. » Ces derniers mots contiennent une erreur évidente.


III


Pourquoi, au réveil, accorde-t-on à ses rêves un caractère mensonger ? Quels sont les motifs de cette attribution ? Y a-t-il à cet égard un critérium absolu de certitude ?

Tout le monde sait que Descartes s’est posé à peu près le même problème, et l’on sait aussi quelle solution il lui a donnée : « Mais peut-

  1. Traité des facultés de l’âme, Hachette, 1865, liv. VI, § 10 ; tom. I, p. 436, 455 et 465.