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delbœuf. — le sommeil et les rêves

quement parlant, de même que la folie et le sommeil sont deux états physiologiques différents, de même il faut distinguer les images fantastiques qui se montrent à l’homme sain d’esprit pendant son sommeil et les conceptions chimériques d’un insensé, d’un fiévreux, d’un homme ivre éveillé.

Cependant, il est nécessaire de donner à la restriction d’Aristote toute sa portée. Rappelons-nous ce que disait M. Stricker. Je rêve de brigands, et j’ai peur ; les brigands n’existent pas, mais ma peur existe. Est-ce que cette peur appartient à mon âme en tant qu’elle est endormie ? Une mère voit en songe son unique enfant rouler dans un précipice, et son cœur se déchire. L’angoisse qu’elle éprouve n’est-elle pas une réalité ? Le motif est imaginaire, je le veux bien ; mais la nature du sentiment en est-elle modifiée ? La douleur ou le plaisir que nous ressentons à l’annonce d’une fausse nouvelle, en est-elle moins de la douleur ou du plaisir ? Autre exemple : je songe que je suis au café avec des amis que j’y ai invités ; je me dispose à payer l’écot pour tous ; je fais mentalement l’addition. Cette opération est-elle un acte de mon esprit en tant que sous l’empire du sommeil ? Quand, éveillé, je pense que deux et deux font quatre, ce jugement change-t-il de caractère quand je l’exprime en rêve ? Généralisons. En rêve, je raisonne et je parle ; mes raisonnements sont bons, et mon langage est correct. Cette suite dans les idées, cette application des règles grammaticales sont-elles le fait de l’homme endormi ? ou bien auraient-elles leur origine dans une partie de l’âme qui ne dort jamais ? On a vu plus haut que M. Spitta attribuait au Gemüth la propriété de ne jamais dormir. On peut, me paraît-il, élargir encore le domaine des activités qui se dérobent à l’engourdissement du sommeil. En un mot, les habitudes ne s’endorment pas. Ce qui dort, c’est ce qui a momentanément cessé ou presque cessé d’être en relation avec l’extérieur. Il faut donc avoir soin de distinguer ce qui est proprement le rêve de ce qui résulte de l’impulsion du rêve.

Un seul exemple pour achever d’éclaircir ce point. Aux vacances dernières, j’avais promis à mes enfants de faire avec eux une excursion de toute une journée. On prit la veille toutes les dispositions pour le lendemain. On devait partir avec le premier train, s’arrêter à une certaine station, puis continuer la route à pied. Il fallait pour cela se lever de bonne heure. Vers cinq heures du matin, la servante vient m’annoncer qu’il pleut et que la pluie semble vouloir persévérer. La promenade était forcément remise. Je me rendors, et je rêve beau temps. Le projet d’excursion me revient en tète : j’avais eu tort de ne pas partir, malgré les menaces du ciel ; nous