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delbœuf. — le sommeil et les rêves

Si vous fixez vos regards sur un objet déterminé, une gravure par exemple, il vous sera presque impossible de voir votre tableau en idée. Mais, à coup sûr, vous n’y parviendrez en aucune façon si vous avez ce tableau même devant vous et si vous le regardez.

Autre exemple. Chacun sait plus ou moins bien chanter mentalement un air connu. Le bruit api)orle une certaine entrave à l’exercice de cette faculté ; mais un air différent qui se fait entendre dans le voisinage la contrarie bien davantage encore, et d’autant plus qu’il se rapproche par le mouvement et le rythmne de celui qu’on a choisi. Enfin, s’il y a identité entre les deux chants, toute tentative pour entendre les notes intérieures est absolument vaine.

La foi en l’existence de l’objet perçu s’impose à nous. Descartes a dit : Je pense, donc je suis ; il aurait pu ajouter avec autant de raison : Je perçois, donc il y a un objet perçu. Je le répète, avoir la conscience de soi, c’est, à parler plus exactement, avoir la conscience du non-soi comme tel. Sans doute, la foi en nos propres sensations est logiquement la première et sert de type absolu à toute espèce de croyance ; mais la foi en l’existence d’une réalité extérieure — quelle qu’elle soit — lui est égale en intensité. Aussi sûrement que je sais que j’existe, je sais que je ne suis pas tout ce qui existe. Quand ce sentiment de la réalité s’affaiblit, celui du moi s’obscurcit en même temps. C’est ce qui a heu dans le rêve, dans l’ivresse, la démence. Dans ce cas, une certitude raisonnée devient malaisée, sinon impossible à obtenir.

Le fondement de toute croyance, c’est donc le sentiment de l’existence d’une réalité extérieure agissant sur notre sensibilité ; et ce sentiment est le fruit d’une habitude que l’individu a reçue de ses ancêtres et qu’il n’a cessé de fortifier par sa propre expérience.


II


Pourquoi, quand on veine, ne croit-on pas à la réalité de ses rêveries,
et pourquoi, quand on rêve, croit-on à la réalité de ses rêves ?

Sous le rapport de ses caractères psychologiques essentiels, la conception ne diffère donc pas de la perception. La distinction entre l’une et l’autre repose sur une circonstance extrinsèque, la présence ou l’absence de l’objet en tant que senti. Ai-je besoin de dire, pour qu’on ne s’y méprenne pas, que ce mot objet ne doit pas être pris à la lettre, et qu’une image réfléchie est pour l’être sensible un objet au même titre qu’une image réelle ? Or je ne saisis l’objet que par