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partie de l’état de conscience. Elle est potentielle, au contraire, quand elle n’est pas présentement l’objet d’une vision interne. Il ne faut pas confondre la potentialité avec la puissance telle que l’entend Aristote. Pour celui-ci, cette conception-là serait en puissance qui n’aurait pas encore été formée mais qui pourrait l’être ; tandis qu’une conception potentielle a déjà reçu au moins une fois l’existence sous forme de perception. Je n’ai pas continuellement présents à l’esprit tout mon savoir, tous mes souvenirs, toutes mes idées. Une partie seulement, une infiniment faible partie de ce savoir peut, chaque fois, à un moment donné, être l’objet d’un acte de conscience ; le reste demeure enfoui dans l’obscurité de l’inconscience et constitue ce que M. Stricker appelle le savoir potentiel. Selon les nécessités ou les besoins du moment, les éléments du savoir potentiel émergent au jour, rejetant dans l’ombre ceux qui, un instant auparavant, étaient en pleine lumière. Tel est le jeu perpétuel de la vie de l’esprit.

Pour abréger le discours, quand je parlerai des conceptions, sans autre désignation spéciale, j’entendrai parler des conceptions en acte.

La conception, réelle ou fictive, a, d’une manière générale et en vertu de sa définition, son origine dans une perception antérieure. Je ne puis concevoir ni de cheval ni de centaure si je n’ai pas encore vu de cheval. Mais, du moment que j’ai eu la perception d’un cheval, j’en conserverai d’une manière indélébile — mille faits le prouvent — la conception potentielle, bien qu’il puisse se faire que l’occasion ne se rencontre jamais de faire passer cette conception de la puissance à l’acte. Ceci toutefois nous importe peu pour le moment.

Mais voici une remarque de la plus haute importance : c’est que la conception actuelle d’un objet n’est pas possible aussi longtemps que cet objet agit sur notre sensibilité. En un mot, la perception et la conception d’un même objet ne peuvent exister simultanément dans la conscience : la perception éteint complètement la conception. La réalité est absorbante et jalouse : toute idéalité disparaît devant elle, à la façon des étoiles devant le soleil.

L’expérience est facile à faire. Essayez de vous représenter vivement un tableau qui vous est familier. La chose vous sera aisée si vous fermez les yeux, et l’image pourra même acquérir un éclat capable de vous faire presque illusion. Un peintre peut tracer un portrait de mémoire. Si vous tenez les yeux grands ouverts, l’effort nécessaire est déjà plus pénible ; vous devez, pour ainsi dire, par la puissance de votre volonté, annuler leur pouvoir visuel, les frapper de cécité à l’égard des choses qui pourraient attirer leur attention.