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I

L’emploi des imaginaires en mathématiques doit être envisagé à deux points de vue essentiellement différents, suivant qu’il s’agit de l’algèbre pure, ou bien au contraire de la géométrie. Nous nous bornerons tout d’abord au premier des côtés de la question.

Que la convention de tenir compte des formes algébriques sous lesquelles se présentent les solutions des équations du second degré, lorsque ces équations sont impossibles, que cette convention, dis-je, ait permis d’apporter dans les théorèmes des généralisations commodes, qu’elle ait entraîné des facilités de calcul et conduit à d’élégantes formules symboliques, à cela il n’y a, en fait, rien d’extraordinaire. C’était le but même de la convention ; et les mathématiciens qui l’ont adopté et fait triompher, en ont eu, dès le commencement, la conscience plus ou moins nette.

Mais qu’il n’y ait eu nullement lieu, en vue du même objectif, de multiplier les symboles pour les solutions des diverses équations impossibles ; qu’au contraire un seul ait suffi jusqu’à présent dans tous les cas, au moins tant qu’il s’agit de fonctions continues[1] ; que, sans conduire à son tour à l’adoption d’un autre symbole irréductible au premier, il se soit prêté à toutes les combinaisons imaginables des signes d’opération, à la représentation des logarithmes des quantités négatives ou même imaginaires par exemple, aussi bien qu’à celle des arcs correspondant à des sinus plus grands que l’unité, ou encore eux-mêmes imaginaires, voilà un résultat constaté en fait à posteriori, mais qui n’était pas prévu d’avance ; et c’est là, en somme, ce qui rend ce symbole à la fois si singulier et si merveilleusement utile.

Ce fait demande incontestablement une explication, car les notions sur lesquelles on opère sont suffisamment abstraites, pour qu’on ne puisse se contenter à moins de rigoureuses déductions, faites immédiatement après l’adoption de la convention, et comblant la lacune que présente l’enseignement ordinaire.

M. Schmitz-Dumont a eu conscience de cette lacune, et il essaye de démontrer que l’adoption du symbole doit, à priori, suffire à tous les besoins possibles ; qu’il n’y aura jamais lieu de faire une autre convention semblable. Mais sa tentative de démonstration est loin d’être satisfaisante ; sans parler des restrictions qu’il prétend

  1. Dans la théorie des nombres, où l’on considère des variables discontinues, le cercle a été rompu en réalité par l’invention des nombres idéaux.