Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VIII.djvu/472

Cette page n’a pas encore été corrigée
466
revue philosophique

les lois invariablement nécessaires de la physique ne s’appliquent que sous certaines conditions et dans des circonstances données, de même la loi de causalité ne s’impose à l’esprit que quand l’esprit se développe et se complète selon ses tendances normales. Quand on dit que la causalité est universelle et nécessaire, tout ce que l’on veut dire, c’est que, partout où la réflexion va, la loi de causalité la suit. D’autre part, le hasard, si souvent invoqué par les hommes à l’origine des événements qu’ils ne comprennent pas, n’équivaut nullement à la négation de toute causalité ; aux yeux du vulgaire, le hasard, la fortune, sont des causes mystérieuses, de très réelles et très effectives puissances. M. Huxley cite encore, à l’appui de sa thèse, ce proverbe familier : « Le vent souffle où il lui plaît ; » mais n’est-jl pas évident que ce dicton, s’il exclut l’idée d’une cause extérieure, attribue au vent lui-même une causalité immanente, analogue aux fantaisies ou aux volontés de l’homme ?

Mais il serait oiseux de prolonger la discussion, puisque M. Huxley veut bien reconnaître dans ses conclusions que la croyance à la causalité est une tendance naturelle de l’esprit. Il persiste seulement à soutenir que le principe de causalité n’est que « le symbole verbal d’un acte purement automatique de l’esprit, qui est tout à fait extra-logique, et qui serait illogique s’il n’était pas incessamment vérifié par l’expérience[1] » Nous avouons ne pas comprendre comment une tendance instinctive, toujours justifiée par les faits, peut dépasser ou contredire la logique.

Quoiqu’il en soit, M. Huxley est d’accord sur ce point, comme sur d’autres avec l’auteur du Traité de la nature humaine. Hume lui aussi combat au nom de la logique les croyances rationnelles : mais il les rétablit au nom de la nature et des instincts spontanés. « La nature maintient toujours ses droits, et triomphe en fin de compte de tous les raisonnements abstraits. » — « Par une nécessité absolue et au-dessus de tout contrôle, la nature nous détermine à juger, aussi bien qu’à respirer et à sentir. » Les décisions des philosophes, dit-il ailleurs, ne sont que les réflexions de la vie commune organisées et corrigées (methodised and corrected). Par là s’expliquent sans doute les contradictions apparentes de Hume, dissertant avec candeur et sincérité sur l’existence de Dieu et même sur l’immortalité de l’âme, après avoir nié toute idée de cause. À ses analyses sceptiques de l’entendement le philosophe donne des conclusions pratiques qui se rapprochent fort de celles du sens commun, et, après qu’il a semblé se brouiller avec les croyances de l’humanité, son plus vif désir est de se réconcilier avec elles.

  1. Huxley, Hume, p. 123.