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Il n’est donc pas impossible de comprendre comment, dans son système qui n’est pas un empirisme sensualiste, qui se rapproche beaucoup au contraire de l’idéalisme, Hume peut faire place à la certitude toute subjective des vérités géométriques. Accordons d’ailleurs de bonne grâce qu’il est sur ce point d’un laconisme décourageant, que le petit paragraphe de quelques lignes où il distingue les vérités de fait et les vérités d’intuition a tout l’air d’une concession plus apparente que réelle, que le philosophe enfin n’a pas pris le temps d’éclaircir sa pensée et de coordonner ses opinions, pressé qu’il était de diriger ses coups contre la notion de cause et le principe de causalité.

On ose à peine revenir sur un sujet aussi rebattu que celui de la nécessité de la relation causale. Il le faut cependant, car c’est là peut-être que Hume à la fois a été le plus original et s’est le plu& gravement trompé. Personne n’a plus contribué à éclaircir la question ; personne n’a plus résolument nié la valeur de cette liaison nécessaire, qui est la forteresse inexpugnable où doit se réfugier toute métaphysique et qu’on appelait récemment « le type parfait, mais unique de la nécessité primordiale[1] ».

Admettre une relation intuitive ou démontrée entre les idées de la géométrie, cela, après tout, ne pouvait répugner à Hume : car cette relation tout idéale n’engageait pas les questions d’existence. Mais il en était autrement de la relation de cause à effet : car la nécessité rationnelle de la cause une fois admise, il n’est plus possible à l’esprit de se renfermer en lui-même ; il lui faut passer de la région des idées à la région des existences, et par delà le monde des conceptions subjectives liées par l’expérience et par l’habitude, reconnaître l’existence des causes qu’on n’observe pas, qu’on n’expérimente pas, mais qu’on affirme comme nécessaires. De là l’effort de Hume pour réduire la relation causale à une simple succession de deux événements, succession qui par son renouvellement fréquent détermine l’esprit à passer de l’idée de l’un à l’idée de l’autre.

La prétention de Hume est donc de prouver qu’il n’y a pas entre la cause et l’effet d’autre rapport qu’un lien d’imagination ou d’habitude établi par l’expérience. Pour en arriver là, il montre que nous ne pouvons jamais connaître a priori la nature d’une cause ou d’un effet. En cela, comment ne pas voir qu’il déplace la question ? Sans doute la raison ne peut devancer l’expérience dans la détermination de la cause, mais elle lui impose l’obligation de la chercher, de croire à son existence avant qu’elle l’ait trouvée, et, quand elle l’a

  1. M. E. Boutroux, De la contingence des lois de la nature, p. 14.