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ception, l’emporte sur l’autre dans l’acte inductif, puisque l’une et l’autre sont des facteurs indispensables de cet acte ; toutefois l’invention des idées est l’invention véritable. L’observation est ouverte à quiconque est attentif et patient ; le don des hypothèses capables de colliger les résultats épars de l’observation est le propre du génie.

Cette façon de comprendre et de définir l’induction est, on le voit aisément, une conséquence directe des vues de Whewell sur la nature de la science. Mais cette induction des idées sur les faits est-elle l’essence et le tout de l’opération scientifique ? Induire, c’est, d’une manière générale, aller du connu à l’inconnu, le connu étant les faits donnés dans l’expérience, l’inconnu, les rapports généraux qui les unissent. Surajouter aux faits ou en extraire une conception qui les relie ou les résume, est-ce vraiment passer du connu à l’inconnu ? L’exemple cité plus haut est des meilleurs pour montrer ce qu’il y a de vrai et d’incomplet à la fois dans la théorie de Whewell. — Quand Képler observait les mouvements de la planète Mars, il en constatait différentes positions en différents temps. Si nombreuses et si rapprochées qu’elles fussent, elles étaient distinctes et séparées, et la simple observation n’en faisait pas un tout continu. Quand Képler, à la suite de ses observations, prononçait que la planète Mars décrit, en son mouvement, une ellipse autour du soleil, ne faisait-il qu’énoncer les faits observés, ou ne passait-il pas véritablement du connu à l’inconnu ? La question revient à celle de savoir si l’expérience lui avait révélé tous les points de la trajectoire suivie par l’astre observé. Or il n’est pas douteux qu’entre ces points, si rapprochés qu’ils fussent, l’observation laissait des intervalles. En supposant que ces points isolés appartenaient à une ellipse, que de l’un à l’autre la planète ne changeait pas de trajectoire, Képler concluait véritablement du connu à l’inconnu. Est-ce là simplement, comme l’a voulu Stuart Mill, une pure description du phénomène ? Nous ne saurions, pour notre part, souscrire à cette manière de voir. Il y a, ce nous semble, dans toute colligation de faits, pour parler le langage de Whewell, conclusion du connu à l’inconnu. L’expérience, soumise aux conditions de l’espace et du temps, est toujours fragmentaire et incomplète ; entre les faits divers, entre les phases successives d’un même fait, elle laisse toujours des lacunes ; ces lacunes, l’esprit les comble, en prolongeant, pour ainsi dire, les lignes des faits dans les directions révélées par l’expérience elle-même ; mais ce n’est pas là décrire. La description des faits laisserait subsister entre eux, entre leurs phases, entre leurs éléments, les vides que l’observation y rencontre toujours ; franchir ces vides ou les combler, c’est aller au delà de l’expérience, c’est