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ANALYSESRousseau jugé par les Genevois d’aujourd’hui.

sans enchaîner peut-être les choses en elles-mêmes ? Sur ce sommet de la recherche philosophique, la pensée de Sophie Germain, jusqu’ici ferme et précise, parait moins assurée. A vrai dire, elle parle souvent de l’absolutisme des nécessités logiques, et elle demande si l’on peut douter que le « type de l’être ait une réalité absolue, lorsqu’on voit la langue des calculs faire jaillir d’une seule réalité dont elle s’est emparée toutes les réalités liées à la première par une essence commune ; « elle déclare que notre type du vrai est le type de l’être, et, chemin faisant, elle n’est pas sans opposer quelques objections à la critique de Kant. Toutefois elle reconnaît « que l’opinion qui attribue à l’être, considéré en lui-même, l’unité, l’ordre, les proportions que nous cherchons dans tous les objets qui fixent notre attention, » repose sur des inductions et non sur des fondements à priori, et elle nous refuse la possibilité de trancher la question de savoir si le monde est tel que nous le pensons : « S’il nous était donné, dit-elle, de pénétrer la nature des choses ; si les observations, les réflexions, les théories qui composent notre richesse intellectuelle n’étaient pas de l’homme, nous choisirions avec certitude entre ces deux propositions ; ou le type que nous trouvons en nous-même et dans les objets extérieurs nous révèle les conditions de l’être ; ou ce type, nous appartenant en propre, atteste la manière dont nous pouvons comprendre les possibles. Cette haute connaissance nous est à jamais interdite. » Par là, elle nous semble incliner, à son insu peut-être, vers la philosophie kantienne, que d’ailleurs, à son époque, on connaissait trop mal en France, pour qu’elle ait pu se rendre compte des affinités secrètes qui l’y rattachaient.

Louis Liard.

J.-J. Rousseau jugé par les Genevois d’aujourd’hui. In-8o, 295 p. Genève et Paris, Sandoz.

Ce volume est un recueil de six conférences faites à Genève le 2 juillet 1878 en l’honneur de Rousseau, à l’occasion de son centenaire. Il ne faut pas y chercher une série de documents nouveaux sur la vie ou les écrits du philosophe si soigneusement étudié, depuis Musset-Pathay, par de scrupuleux biographes. C’est un livre de souvenirs, une sorte de keepsake national, composé par les compatriotes du citoyen de Genève, et digne d’être lu de tous, amis ou ennemis. Les auteurs de cette publication ont voulu retracer brièvement et expliquer cette grande personnalité, ses idées, son influence sur toutes les formes de notre vie spirituelle. Louons-les de n’avoir point fait œuvre de panégyristes, tout en s’inspirant sans cesse de l’esprit de justice historique : par ce caractère de sage impartialité, ces études constituent un loyal hommage du xixe siècle à la mémoire de Rousseau.