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apparent qu’elle subit, car d’une seule réalité jaillissent toutes les réalités liées à elle par une essence commune. La langue des calculs est donc la langue de la raison dans toute sa pureté. « Elle interdit la divagation ; elle signale l’erreur involontaire. Il faudrait ne pas la connaître, pour essayer de la faire servir à l’imposture. Elle reproduit dans toutes ses conséquences le principe qui lui a été confié. Elle peut servir à prouver que l’unité d’essence, l’ordre et les proportions du sujet que l’esprit humain cherche obstinément dans tous les objets de son attention, n’expriment pas seulement les conditions de notre satisfaction intellectuelle, mais qu’elles appartiennent à l’être ou à la vérité. »

Les mathématiques sont donc le type de la science. Pourtant, hors d’elles, nous ne voyons plus que des êtres dépendants et des vérités partielles. Mais nous avons l’intime conviction, puisée dans le sentiment même de notre être, qu’au fond toutes choses se ramènent à une seule. De tout temps, les hommes ont cherché l’unité de l’être, et celte pensée constante a été clairement exprimée par d’Alembert lorsqu’il a dit : « L’univers, pour qui saurait l’embrasser d’un seul coup d’œil, serait un fait unique, une grande vérité. » Aussi en venons-nous peu à peu à considérer ces vérités partielles comme des fragments d’une vérité totale et unique, de laquelle elles dérivent, comme les conséquences d’une définition.

Là est la raison de notre tendance à chercher les causes des phénomènes. Cette tendance est une preuve de notre infirmité. Pour qui verrait les choses d’une façon totale et complète, la question de la causalité ne se poserait pas dans les termes où elle se pose. « Supposons que, au lieu d’envisager l’équation du cercle, nous soyons frappés d’une des propriétés des sinus et des cosinus. Nous pourrions bien demander pourquoi cette propriété a lieu en effet, car alors nous n’aurions sous les yeux qu’une partie du sujet. Mais, si nous remontons jusqu’à la première expression de la courbe, notre curiosité est pleinement satisfaite ; nous avons défini l’essence ; nous voyons une existence complète. » Hors de nous, l’objet que nous examinons ne se présente jamais dans son entier. Il s’offre à nous « avec le caractère fractionnaire ; nous demandons quelle en est l’unité. Nous le voyons comme étant une partie ; nous cherchons le tout auquel cette partie appartient. » De là vient aussi, pouvons-nous ajouter à cette profonde pensée, que, dans le monde des phénomènes, nous ne saisissons jamais de causes productrices, mais des antécédents invariables ; en allant de cause en cause, nous étendons le réseau de la nécessité, et nous réduisons les uns aux autres les phénomènes les plus divers, poursuivant toujours, sous les différences, l’unité pressentie.

Mais ce type de vérité, d’après lequel nous jugeons toutes choses, est-il l’expression de conditions absolues de l’existence, ou au contraire celle d’une nécessité purement intellectuelle, qui nous astreindrait à des façons constantes de nous représenter et de penser les choses,