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formations historiques, les idées fondamentales, engagées, selon lui, dans les divers ordres de sciences.

De ces analyses se dégage une vue générale qu’il importe de mettre en saillie. Jusqu’ici, nous avons employé à peu près indifféremment les termes idées et conceptions pour désigner l’apport de l’esprit dans la construction de la vérité scientifique. Pour Whewell, ces deux expressions ne sont pas synonymes ; à ses yeux, l’idée est pour ainsi dire la souche commune de plusieurs conceptions distinctes. Prenons des exemples fort simples. L’espace est une idée fondamentale ; les notions de ligne droite, de triangle, de cercle, d’ellipse, etc., sont des conceptions ; de même l’idée de cause, et les conceptions de force, de résistance, de puissance. On voit par là que l’idée se manifeste par les conceptions : l’idée par elle-même n’a pas de rôle scientifique ; elle n’est féconde que par les conceptions qui l’expriment. Ainsi l’idée d’espace est, en elle-même, une sorte de puissance, au sens où l’école prenait ce mot ; mais les conceptions qu’elle recèle, lignes, surfaces, solides, sont les objets de la géométrie. Les idées fondamentales sont l’âme des conceptions ; mais seules les conceptions sont le lien des faits.

Mais là n’est pas l’unique manifestation des idées. En géométrie, par exemple, l’esprit, pour dérouler la série des théorèmes et construire les problèmes, a besoin, outre les conceptions déterminées qui sont les termes des propositions, de certains jugements sans lesquels ces termes demeureraient isolés. Aussi les géomètres reconnaissent-ils deux espèces de principes, les définitions et les axiomes. Pour Whewell, l’axiome est, au même titre que la conception, une manifestation de l’idée fondamentale. Ainsi, de l’idée d’espace dériveraient à la fois les conceptions et les axiomes géométriques ; de même, l’idée de cause, fondement de la mécanique, se traduirait par les conceptions de la force, de la résistance, et par des axiomes tels que : tout changement doit avoir une cause ; les causes se mesurent par leurs effets ; la réaction est égale et opposée à l’action.

Cette vue peut être acceptée, en ce qu’elle a de général. Il est incontestable, en particulier dans les sciences mathématiques, que l’esprit fait usage de conceptions déterminées et d’axiomes qui ne sont pas sans rapports d’origine, puisqu’ils s’unissent pour fournir aux démonstrations leurs termes et leurs règles. Mais faut-il l’étendre à tout le savoir et voir, dans les conceptions et les propositions générales dont les sciences concrètes font usage, des dérivées directes d’idées à priori ? Whewell l’a fait ; sa théorie de la science l’exigeait sans doute. On ne doit pas moins s’étonner qu’il ait élevé, sans discussion, à la dignité d’idées à priori toutes les idées générales impliquées dans