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ANALYSES ET COMPTES-RENDUS



M. Guyau. La morale anglaise contemporaine. Morale de l’utilité et de l’évolution. — Paris, Germer Baillière et Cie. 1879.

Les lecteurs de la Revue connaissent déjà la remarquable étude du même auteur sur l’épicurisme. Dans le travail sur l’utilitarisme anglais qu’il publie aujourd’hui, ils retrouveront le même talent d’exposition et de critique, mais plus vigoureux peut-être et plus éclatant encore.

M. Guyau, dans un avant-propos d’une hardie franchise, explique sa propre méthode. Il a pris soin de séparer absolument l’exposition et la critique, sans crainte des redites et des longueurs qui pourraient en résulter. Celui qui critique une doctrine doit mettre autant d’ardeur à en marquer les points faibles que celui qui l’expose à en découvrir les qualités. Toutes les doctrines doivent donc être étudiées de près, sérieusement, sincèrement, avant d’être appréciées ; car, ce qu’il y a de plus difficile au monde, c’est de juger une doctrine qui n’est pas la nôtre. Cet esprit libre et libéral n’admet point qu’on se dispense de comprendre un système et qu’on s’autorise à le condamner de prime abord, sous prétexte qu’il est dangereux. Il n’existe pas d’orthodoxie philosophique. Tout doit être objet de libre spéculation et de libre examen pour l’homme, et les doctrines qui touchent aux plus importantes questions sont par cela même les plus dignes d’être encouragées, étudiées et comprises, car elles sont les plus utiles, et, si elles contiennent quelque part de vérité, cette vérité est de toutes la plus haute. Mieux vaut le trouble que l’indifférence et la foi aveugle. D’ailleurs, pour critiquer, pour réfuter même la pensée d’autrui, ne faut-il pas d’abord la comprendre, et pour la comprendre ne faut-il pas se l’assimiler, et pour ainsi dire sympathiser et fraterniser avec elle ? Il est puéril de croire qu’on aura raison des doctrines fausses ou incomplètes en les exorcisant, les yeux fermés et la tête tournée d’un autre côté pour ne les point voir.

Aussi, fidèle à sa méthode, M. Guyau ne se contente pas d’une sèche et monotone analyse des doctrines anglaises : il commence par les repenser, par les incorporer, en quelque sorte, à sa pensée propre. Il leur communique ces qualités de l’esprit français qu’il possède lui-même à un haut degré : d’abord l’unité systématique et progressive, la