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peu écolière, prompte à fronder, plus prompte à se dérober. Mais Vanini meurt sur le gibet, en confessant ce qu’ils pensent, en raillant ce qu’ils réprouvent. Dès lors, un sentiment de dignité qu’ils n’avaient pas encore connu gonfle leurs cœurs. Leur cause est juste, leur cause est sainte, puisqu’un homme a donné sa vie pour elle, et quel homme ! un des favoris de la nature, sinon de la destinée. Ainsi raisonnent-ils. S’étonnera-t-on qu’ils aient fait de Vanini leur idole et recherché le De Arcanis avec une sorte d’emportement ? Il est bien évident que ce livre était pour eux le testament, novissima verba, d’un martyr, du premier martyr de la liberté de penser. Car, à leur insu, la poétique des apothéoses commandait à leurs imaginations, ne les laissant pas hbres de voir seulement dans le prétendu Lucilio une victime magnanime, mais involontaire de l’intolérance. Dans sa vie, qu’ils connaissaient bien, ils ne savaient apercevoir que des leçons louables et qu’un grand exemple. Que parlait —on de son double rôle ? À la guerre, le premier devoir est de ne pas se laisser surprendre. On y peut user de tous les stratagèmes, à condition de s’arrêter et de combattre jusqu’à la mort, quand on rencontre l’ennemi. « Nous ne disons pas[1] — ainsi les fait parler le Père Garasse — qu’il faille se précipiter dans les hasards et se jeter à l’aveugle au travers des hallebardes, car ce serait prévenir les destinées ; mais nous disons qu’il ne faut laisser saisir ou emporter son cœur à aucune crainte panique, mais affronter hardiment les destinées, et faire comme Lucilio, qui mourut dans Tholose pouvant sauver sa vie et ne le voulut pas, de peur de perdre l’occasion de mourir en philosophe et de montrer au destin que facile impingitur naturœ munus suum, comme diso-it le philosophe Sénèque. »

Ceux qui avaient reconnu le philosophe, sous le masque de Lucilio, prirent-ils tout d’abord le parti de n’en rien dire ? Peut-être. En tout cas, et quoique les Histoires tragiques de Rosset, qui copient l’histoire de l’exécrable docteur Vanini, aient été achevées d’imprimer dès le mois d’août 1619, on s’aperçoit, à des signes certains, que la nouvelle de cette découverte n’arriva à Toulouse qu’après un laps de huit mois, et encore par voie mystérieuse, probablement sous forme d’avis secret au procureur général ou au premier président. C’est qu’il y avait intérêt à ne pas l’ébruiter. En effet, si, comme il y avait sujet de le craindre, l’auteur du De arcanis avait travaillé incognito à répandre son livre, tous les exemplaires qui se trouvaient en ville disparaîtraient subitement dès qu’il deviendrait public que J.-C. Vanini, le philosophe des Dialogues approuvés par la Sorbonne, était le

  1. Garasse, Doctrine curieuse, p. 373, 374.