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baudouin. — histoire critique de jules césar vanini

core en tête de ses livres[1], et peut-être aussi à d’autres indices qui nous échappent, — il est possible que Vanini leur eût écrit de Toulouse, — ils reconnurent sans hésiter, dans « l’Italien homme philosophe » de la place du Salin, l’auteur fugitif et proscrit des Secrets de la nature. — La vogue de ce livre n’avait pas cessé. À partir de ce moment, elle s’accrut encore : on le lisait avidement. Le Père Garasse, qui a souvent de l’esprit, l’appelle l’Introduction à la vie indévote, le bréviaire des libertins[2]. Il veut que les curieux n’en fissent pas moins de cas que de Pomponace et de Paracelse ; il le met dans leur bibliothèque à côté de Machiavel et de Cardan, de Charron et de la Clavicule de Salomon[3]. La Sorbonne avait pourtant gagné qu’il fût défendu, mais « il voltigeait sous la cappe, on se le prêtait sous main comme les peintures de l’Arétin entre gens de métier[4]. » C’est encore le Père Garasse qui dit cela.

On ne peut s’étonner qu’un jésuite ait dénigré les Dialogues et prêté à ceux qui les lisaient une curiosité vilaine ; mais il n’est pas défendu de croire qu’il a méconnu leurs vrais sentiments. Les âmes communes les plus résolument engagées dans la foi ou dans le doute ne s’y avancent pas toujours sans inquiétude. Il leur arrive de désirer d’avoir des garanties. Elles ont besoin de temps à autre, pour se rassurer, que quelqu’un ait signé de son sang et certifié par sa mort que la voie qu’elles suivent est bien la voie droite. C’est pour relever leur courage et prévenir leurs défaillances qu’on a fait les martyrologes et inventé les légendes. Les écrits de ce genre abondent dans toutes les religions, qui ont surtout affaire au peuple ; ils sont moins en usage, et cela se comprend, dans le domaine de la raison : l’antiquité ne s’est jamais avisée de cataloguer les martyrs de la philosophie ; Socrate lui-même n’est pas devenu légendaire. Au moyen âge et jusqu’à la fin de la Renaissance, l’esprit critique, encore timide, se dépense en hérésies ; ses champions, s’il en a, ne coiffent pas l’auréole, parce qu’ils manquent de sectateurs. Mais, au commencement du xviie siècle, les rationalistes, les sceptiques — les libertins, les beaux esprits, les curieux, les esprits forts, comme les désigne l’ironie catholique — abondent déjà, surtout à Paris. Ils se multiplient dans la société polie et même au delà. Jusqu’en 1619, ils forment une légion secrète un peu mêlée, un peu inconsistante, un

  1. Amphitheatrum, etc., autore J. C. Vanino, philosophe. — J. C. Vanini, Theologi, Philosophi et juris utriusque Doctoris, De admirandis naturæ reginæ deæque mortalium arcanis.
  2. Garasse, Doctrine curieuse, p. 683, 984.
  3. Ibid., p. 10-12.
  4. Ibid., p. 10-12.