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cour a ordonné que vous demanderiez pardon à Dieu, au roi et à la justice. — Dieu ! s’écria-t-il, il n’y a pas de Dieu ; le roi, je ne l’ai point offensé ; quant à la justice, s’il y avait un Dieu, je le prierais de lancer un foudre sur le Parlement comme du tout injuste et inique, et, s’il y avait un diable, je le prierais aussi de l’engloutir aux lieux souterrains[1] ! »

Il fallut se contenter de cette réponse. La claie se remit en marche, pour faire « le cours accoustumé » par les rues Saint-Etienne et Croix-Baragnon, la place Rouaix, la rue de la Trinité et enfin la grand’rue, qui la ramenait à la place du Salin. Elle s’avançait, lentement dans cette voie douloureuse, cahotant sur le pavé inégal, à travers une foule hostile, empressée de regarder, comme elle eût regardé le diable, « cet homme grand de taille, un peu maigre, au poil châtain, au nez long et recourbé, aux yeux brillans et aucunement agars[2] » qu’on lui donnait pour un athéiste. Cependant le cordelier s’était mis en devoir de faire son office. Incliné vers le condamné, il l’engageait « à se reconnaître » ; il lui parlait de Dieu, qui s’était fait homme pour le racheter du péché et qui avait voulu souffrir ce qu’il souffrait lui-même en ce moment, l’amertume de l’ignominie et les horreurs du supplice. De temps en temps, comme pour ajouter à la force de son discours, il essayait de lui faire regarder le crucifix, mais Vanini détournait la tête[3]. Assis, les jambes écartées, sur la plate-forme[4]. S d’une voix que faisait trembler le froid de la saison, car on ne lui avait pas remis ses vêtements, ou une angoisse instinctive, il raillait le moine de sa crédulité[5]. Non, Jésus n’était pas Dieu, c’était un homme comme lui, et qui même n’était pas mort comme lui sans défaillance, car il avait sué de peur[6]. Il n’y avait pas d’autre Dieu que la Nature ; elle seule était éternelle… l’âme ne durait pas par elle-même… la mort menait au néant, et c’est pourquoi elle était douce aux infortunés comme lui, las de craindre et de souffrir. C’était la délivrance, la fin et le remède de tous leurs maux[7]. Telle était sa croyance, telle était sa doctrine… Et, comme s’il eût craint que le Parlement se flattât qu’elle périrait

  1. Mercure français, tome V, p. 63, 64 ; Garasse, Doctrine curieuse, p. 146 ; Rosset, Hist. trag., édition citée, p. 185, 213.
  2. Annales manuscrites de l’hôtel de ville de Toulouse, tome VI, fol. 13, 14. Ce portrait ne ressemble pas à la figure qu’a donnée la Biographie des hommes illustres du royaume de Naples (Naples, 1820) et que M. Palumbo a reproduite.
  3. Annales manuscrites de l’hôtel de ville de Toulouse, tome VI, fol. 13, 14.
  4. Bisselius, Septenn., loc. cit., p. 323.
  5. Ibidem., p. 323, 324.
  6. Barthélémy de Gramond, Hist., p. 208-210.
  7. Annales manuscrites de l’hôtel de ville, tome VI, fol. 13, 14.