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baudouin. — histoire critique de jules césar vanini

les valets de l’exécuteur plantaient le fatal poteau et construisaient le bûcher.

Quand tout fat prêt, une claie formée d’ais cloués sur des pièces de bois et traînée par trois chevaux[1] alla chercher le condamné. — Ce n’était déjà plus le même homme. Libre de ne plus feindre, libre à l’abri de la mort, son âme s’était redressée. Elle apparaît, à ce moment, avec un caractère inattendu de force et de grandeur. Pourtant elle ne cesse pas d’être humaine. Elle ressent profondément l’injustice de la sentence, et elle s’en venge — mais sans songer qu’elle innocente les juges — en rejetant avec mépris les croyances qu’elle a trop et inutilement respectées. L’effroi de l’au delà ne l’a pas troublée. Elle ne consent pas à voir le monde autrement qu’elle l’a conçu dans ses méditations studieuses, ni à se leurrer d’un changement illusoire dans l’ordre éternel des choses. Vanini mesure à la hauteur de ses idées la religion qui le tue ; il la raille de ce qu’elle a de factice et de terrestre. À ce peuple ignorant qui l’insulte, qui l’accable de malédictions impuissantes, qui va guetter avidement son dernier soupir, il montre par sa constance qu’il y a quelque chose au-dessus d’elle et qu’on n’a pas besoin de ses consolations pour bien mourir.

Quand on lui annonça qu’il fallait partir, la langue de son pays lui revint aux lèvres. « Andiamo, dit-il, andiamo allegramente a morire da filosofo[2] —, » et il se mit sur la plate-forme. Alors, suivant les termes de l’arrêt, on le dépouilla de ses vêtements, ne lui laissant que sa chemise ; on lui mit la hart au cou, et on lui attacha aux épaules un cartel qui portait ces mots : Athéiste et blasphémateur du nom de Dieu ; puis, un religieux cordelier monta à côté de lui, et la triste machine, conduite par l’exécuteur en jaquette vert et rouge, sortit de la conciergerie. Le commissaire du Parlement la suivait, escorté de la main-forte et des gens de justice. Elle traversa la place du Salin et monta la rue Nazareth et la rue des Nobles. Arrivée à la place Saint-Étienne, elle s’arrêta devant le portail de la cathédrale. Là, l’exécuteur, comme le voulait encore l’arrêt, força le condamné à s’agenouiller et lui mit dans la main une torche allumée du poids d’une livre[3]. Alors, le commissaire s’approcha à son tour et somma Pompeïo de faire amende honorable ; mais Pompeïo s’y refusa longtemps. Enfin, comme le magistrat lui répétait : « La

  1. Chronique de Mathieu Mathieu, crieur public des capitouls, à la suite du livre des criées No 117 (archives de l’hôtel de ville de Toulouse).
  2. Mercure français, tome V, p. 63, 64.
  3. Archives de la Haute-Garonne, B, 352, p. 153 bis, arrêt contre Pompeïo Usiglio.