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établir entre lui, Pompeïo, et le seigneur de Francon, un Terssac-Montbéraut ! Comme si l’on savait qui il était, lui ! Il se disait prêtre, mais ne s’était-il pas donné d’abord pour médecin ? Son pays, sa famille, ses amis, qui les connaissait ? Et, puisqu’il n’en parlait pas, il avait donc intérêt à cacher son passé ?

À ces questions, qu’il était naturel qu’on lui adressât, Vanini évitait de répondre, et l’on sait bien qu’il ne le pouvait pas. Il ne pouvait pas empêcher que le mystère dont il s’était enveloppé ne finît par le conduire à sa perte. — Véritablement, il y avait encore pour lui plus de chances de salut à rester Pompeïo qu’à redevenir Vanini. Qu’avait-il à attendre, lui chétif, des puissants personnages dont il aurait pu invoquer les noms illustres, Bassompierre, d’Epinay Saint-Luc, l’ex-chancelier Bruslart, le nonce Ubaldini, même le comte de Castro ? Quant à se réclamer des amis qu’il avait laissés à Paris, autant eût valu avouer tout de suite qu’il avait écrit et fait imprimer, dans quelles conditions ! les Secrets de la nature. Vanini, s’il se déclarait, serait à coup sûr livré aux flammes ; Pompeïo avait été déjà acquitté ; ne pouvait-il pas l’être encore une fois ? — Il était plein de cette espérance, qui entretenait son courage. Elle le suivit jusque sur la sellette, et c’est pourquoi il s’y assit avec tant d’aisance, comme si c’était un banc de l’école, et comme s’il n’avait qu’à y faire montre, en beau latin, de ses connaissances en théologie.

Quinze jours après l’arrivée du duc de Montmorency à Toulouse, le matin du 9 février 1619, un samedi, des geôliers allèrent prendre Pompeïo dans son cachot pour le mener devant la Cour. Il faisait encore nuit. La triste lueur des lampes de ce temps-là éclairait vaguement le prétoire. Assis à sa place, dans l’angle au fond de la salle, — en mémoire de la pierre angulaire de l’Évangile, — Le Masuyer présidait. Dix-huit conseillers tenaient l’audience[1]: il n’y en avait pas tant à l’ordinaire ; mais il s’agissait d’un crime de lèse-majesté divine, et suivant l’usage, en pareil cas, la Tournelle (la Chambre criminelle) s’était réunie à la Grand’Chambre[2]. L’air terrible, la voix rude et brève du premier Président[3] avaient de quoi intimider l’accusé ; mais il voyait devant lui dans l’assemblée des figures qui le

  1. Archives de la Haute-Garonne, B, 352, p. 153 bis, arrêt contre Pompeïo Usiglio.
  2. « À l’égard du Parlement de Toulouse, Henri II laissa en 1552 le premier président maître de faire juger les hérétiques par celle des Chambres qu’il jugerait à propos de choisir. De là vint que Pierre Serres, prêtre et apostat, fut rejugé par la Grand’Chambre et la Tournelle, le premier président ayant soutenu que l’arrêt de mort donné par la seule Tournelle était nul et contre les règles. » (Histoire manuscrite du Parlement de Toulouse, par le P. Lombard, jésuite, livre 6.)
  3. Barthélémy de Gramond, Histor., p. 724 et 762.