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ainsi dire deux moments. D’une part, chaque système se développe comme s’il était seul, tirant tout à soi et tâchant de se faire centre ; il va ainsi progressant autant qu’il peut jusqu’à un état que j’appellerai son état limite ; c’est le moment de la « concurrence vitale ». Même phénomène pour les espèces animales, qui vont se développant jusqu’à ce qu’elles aient épuisé leur forme propre, c’est-à-dire, en langage idéaliste, leur idée, ou en langage naturaliste, leurs conditions d’existence et d’adaptation au milieu ; puis vient le temps de l’arrêt et de la décadence. Alors a lieu la « sélection » soit pour les systèmes, soit pour les espèces : c’est le second moment. Mais quel est le système qui l’emporte ? Celui qui a su concilier en soi les vérités et qualités positives des systèmes inférieurs, en y ajoutant de nouvelles vérités et de nouvelles qualités, qui sont pour lui de nouvelles forces vitales. De même, l’espèce qui triomphe par la sélection est celle qui résume en soi les espèces inférieures, avec leurs vérités essentielles et leur idéal essentiel. Pour dépasser, il faut donc commencer par résumer, par condenser en soi ce qu’on dépasse en y ajoutant un surplus ; ce qui exige un type meilleur de construction et d’organisation, à la fois plus original et plus universel que les précédents. L’animal est la plante, plus la sensibilité claire et la volonté ; l’homme est l’animal, plus la raison claire : son cerveau est la synthèse des forces inférieures au moyen d’une force supérieure. Le procédé de sélection ne change pas de nature en passant de l’ordre matériel à l’ordre intellectuel et moral ; mais il y doit devenir pacifique, et la victoire finale y doit être une victoire de conciliation. Le système des premiers Ioniens est résumé synthétiquement et dépassé par celui d’Héraclite ; Platon absorbe en lui et dépasse l’ionisme, le pythagorisme et l’éléatisme. Aristote renferme et déborde Platon. Puis, de nouveau, le naturalisme et l’idéalisme se développent sur certains points à part l’un de l’autre, pour se rapprocher de nouveau. Dans les temps modernes, Leibniz concilie le mécanisme cartésien et le dynamisme péripatéticien ; Kant concilie Hume et Leibniz. Ainsi avance la pensée philosophique : tout ce qui n’est qu’éclectisme ou syncrétisme disparaît ; la vraie synthèse demeure seule, là où elle est réalisée. La réaliser partout, tel serait l’idéal. Cet idéal est sans doute inaccessible ; mais la méthode, qui est par essence une marche, une évolution et un progrès, consiste à s’en rapprocher sans cesse.

Alfred Fouillée.
(À suivre.)