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sement, ou qui, dans tout autre ordre d’idées, trouverait sans doute en défaut notre faible raison. En un mot, l’intuition ou sens géométrique paraît comprendre ce qu’il y a de plus ressemblant en nous et hors de nous, ce qui, dans notre intelligence, est à la fois le mieux approprié à la forme de notre esprit et à la nature du monde extérieur.


Sans doute, ce sens ne s’est laissé jamais analyser dans son mode de procéder et dans tous les résultats qu’il fournit ou peut fournir : à cet égard, on peut bien dire qu’il n’a pas été défini. La lumière qu’il répand est pour nous une sorte de mystère, tant en elle-même que dans sa source. Pareil à toutes les œuvres de la nature, qui soutiennent des rapports avec l’ensemble des choses et dont les racines plongent dans un infini où nous nous perdons, il n’a pas permis à notre science, nécessairement discursive et bornée, d’explorer entièrement, et de classer, même les premiers principes qu’il nous fait connaître. Seules, les constructions artificielles de notre raison, se déroulant en une série linéaire, tout au plus en quelques séries entrecroisées, se laissent pénétrer ou reproduire parfaitement dans leurs parties explicites. Mais, outre ces parties, elles contiennent toujours, même à notre insu, des profondeurs inexplorées, expression du sentiment instinctif d’où jaillit la pensée claire et qui la dépasse de toutes parts, ou vague reproduction des contours indécis entourant les objets mis en lumière, que l’œil ne peut ni ne doit séparer jamais complètement de leurs attaches naturelles, non plus que des objets voisins maintenus dans l’ombre.

Il n’est donc pas surprenant qu’il reste, en géométrie, une infinité de points obscurs, de rapports, même élémentaires, non encore débrouillés. Le géomètre peut se sentir impatient ou mal à l’aise au milieu de la multiplicité des voies qu’il connaît ou qu’il soupçonne dans sa science, et de la difficulté qu’il éprouve à choisir, parmi tous ces chemins, celui qui, suivi d’une manière continue comme l’exige le discours, relie mieux que tous les autres les points de vue importants et est le plus propre à faire saisir les rapports les plus nombreux ou les plus féconds, leur totalité même, s’il était possible.

Mais cette difficulté ne concerne que l’ordre logique des idées : elle n’atteint nullement la clarté et la valeur de l’intuition géométrique, qui seule, au contraire, éclaire tous ces horizons et permet de s’y mouvoir.