Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VIII.djvu/335

Cette page n’a pas encore été corrigée


LE SOMMEIL ET LES RÊVES


(première partie)

APERÇU CRITIQUE DE QUELQUES OUVRAGES RÉGENTS


I


Depuis la riante Ionie, berceau du triste Héraclite, jusqu’à la Baltique brumeuse qui vit naître le sombre Schopenhauer, dans chaque siècle et sous tous les climats, s’il est un thème que les philosophes moroses ont développé avec complaisance, c’est celui des misères de l’homme. À leur tour, les écrivains religieux, les Pascal et les Bossuet, tout en exaltant la grandeur de l’âme humaine, ne manquent jamais d’en faire aussi ressortir la bassesse. Il semblerait dès lors impossible d’ajouter de nouveaux traits au désolant tableau de notre faiblesse et de notre néant. Et pourtant on oublie d’y faire figurer tout un tiers de notre existence. Chaque jour nous sommes, pour ainsi dire, ravis à nous-mêmes par un génie fantasque, bizarre et capricieux qui se fait un malin plaisir de confondre les contraires, le bien et le mal, le vice et la vertu. À certaines heures de la journée, le plus juste des hommes commettra sans remords les plus abominables forfaits, il deviendra voleur, assassin, incestueux, parjure ; la jeune et chaste épouse s’abandonnera aux actions les plus indécentes ; la nonne pudibonde laissera tomber de sa bouche d’immondes paroles ; le pieux lévite, emporté par la passion ou la fantaisie, ne reculera devant aucun sacrilège. Quand l’obsession a cessé et que nous rentrons en possession de nous-mêmes, nous n’oserions souvent raconter aux autres, ni parfois repasser en idée ce que nous avons rêvé. Nous nous demandons avec inquiétude si nous ne portons pas au fond de notre être un odieux levain qui, d’un moment à l’autre, peut nous pousser au crime.