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fouillée. — la philosophie des idées-forces

et de synthèse s exerçant primitivement sur les réalités ou les idées de la conscience et de la science, secondairement sur les doctrines, et finalement sur les hommes eux-mêmes, si les hommes y consentent. Nous ne voulons forcer personne, nous n’avons pas de compelle intrare. M. Renouvier a donc le droit de se dire « inconciliable[1] » ; mais il a tort d’ajouter en parlant de nous : « Il deviendra impossible d’éviter ses embrassements ; on ne pourra que fuir en protestant et le laisser se satisfaire avec des ombres. » Nous ne tenons pas absolument à embrasser malgré lui l’éminent philosophe, quoique nous soyons tout prêt à lui tendre la main, et, au lieu de nous satisfaire avec des ombres ou des notions logiques, nous nous satisferons avec des réalités et des lois scientifiques.

En somme, la méthode que M. Renouvier oppose à la nôtre, comme plus scientifique, nous parait au contraire renouvelée de la scolastique ; si elle était adoptée, la philosophie reviendrait aux querelles interminables du moyen âge, à l’appareil des définitions verbales, des syllogismes, des propositions contraires, subcontraires, contradictoires, etc. Il y avait du bon dans la scolastique, nous ne le nions pas, mais il y a aussi du bon dans l’esprit plus large et moins formaliste de la philosophie moderne. M. Renouvier serait le premier à déplorer que chaque philosophe s’enfermât dans un système comme dans une église fortifiée du moyen âge, pour tirer de là sur ses voisins et changer les « temples sereins des sages » en temples fulminants[2].

  1. Critique philosophique, 25 septembre 1873, p. 121.
  2. Après nous avoir reproché notre inexactitude logique, tout en nous attribuant « une pénétration véritable de certaines difficultés vis-à-vis desquelles Victor Cousin montrait à peu prés la portée d’esprit d’un curé de village », M. Renouvier a cru devoir expliquer pourquoi il protestait avec tant de vivacité contre une méthode contradictoire et illogique à ses yeux. « Elle est fâcheuse, disait-il, et de fâcheux augure. Le public, toujours enchaîné à l’autorité, quoi qu’on en dise, sera difficilement ramené à se plaire dans les voies ardues de l’analyse rigoureuse tant que les professeurs, etc. » Suivaient des boutades contre l’Ecole normale et les Académies qu’il est inutile de reproduire. (Critique philosophique, sept. 1873, p. 128.) Nous avons bien le droit aujourd’hui de protester à notre tour contre les craintes exprimées par M. Renouvier et que l’événement a si peu justifiées. M. Renouvier peut se rassurer désormais : si nous avons donné le mauvais exemple, cet exemple n’a pas été suivi par tant de jeunes esprits que notre commerce aurait pu corrompre, et qui sont aujourd’hui des maîtres appelés à un brillant avenir. Tous ont gardé la parfaite indépendance de leur esprit et l’originalité de leurs tendances variées ; quelques-uns ont déjà écrit des mémoires ou publié des œuvres très remarquables ; presque tous sont parmi les collaborateurs de cette Revue. Pourquoi ne rendrait-on pas justice même à l’Ecole normale, à l’Université, « aux professeurs à diplômes », aux « professeurs salariés » et aux Académies ? Faut-il laisser croire aux autres nations que tout est mauvais et stérile en France, excepté telle ou telle école philosophique, si remarquable d’ailleurs que soit cette école ?