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Quant à la discussion, elle n’est pas inutile dans le système déterministe. Chaque croyance étant déterminée par les circonstances qui accompagnent sa formation ou son existence, si l’on change ces circonstances, il est possible que les croyances changent. Or c’est là ce que l’on fait quand on discute. On change les conditions d’existence des opinions ; on suscite une concurrence, une lutte dont l’effet peut être la ruine des anciennes idées.

M. Secrétan pense que la science, c’est-à-dire l’établissement d’une représentation valable pour tous, est impossible[1]. Cependant la représentation sera valable pour tous ceux qui l’accepteront, où les ressemblances des hommes et de leurs conditions d’existence sont assez nombreuses pour qu’il en résulte une part de croyances communes. Ces croyances comprennent le sens commun et les connaissances qui sont généralement répandues ou qui pourront l’être. L’autorité morale intervient aussi pour répandre la science, grâce encore aux ressemblances physico-mentales des hommes. Quant aux différences ou plutôt aux discordances dans l’organisation ou les conditions d’existence, elles se manifestent en effet par des différences dans les jugements, mais elles n’empêchent nullement qu’il n’y ait croyances communes, plus ou moins généralement répandues.

On pourrait faire à propos du beau et du bien des raisonnements analogues tendant à prouver que l’esthétique et la morale ne sont pas détruites par le déterminisme. Il faudrait s’appuyer encore sur ce fait si bien mis en lumière par H. Spencer, que les faits psychologiques sont en corrélation avec des phénomènes externes. La théorie déterministe, qu’il ne faut pas confondre avec le fatalisme, n’entraîne réellement aucun résultat logiquement pratique qui soit fâcheux. On a essayé de prouver qu’elle conduisait à toutes sortes d’abîmes. Ce n’est pas là ce qui pourrait empêcher la conception déterministe du monde, dans laquelle la loi de concurrence occupe une place si importante, d’être la représentation exacte des phénomènes ; mais, des conséquences qu’on lui attribue, celles qui sont exactes ne sont pas effrayantes, celles qui sont effrayantes ne sont pas exactes.

Fr. Paulhan.
  1. Secrétan, Discours laïques, p. 132.