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paulhan. — l’erreur et la sélection

l’auteur de sa croyance ou qui peut l’être s’il le veut. Il en est de même dans l’hypothèse déterministe ; c’est nous qui formons nos croyances, nous, c’est-à-dire l’ensemble de phénomènes conscients et de tendances obscures qui trie et accepte ou rejette les impressions du dehors et donne ainsi lieu à de nouveaux phénomènes. La croyance est même bien plutôt l’œuvre de la personne dans la théorie déterministe, car elle dépend logiquement, pour une grande partie, de la nature de la personne.

Enfin l’hypothèse de l’indéterminisme paraît avoir un inconvénient. Il existe en effet des cas où nos croyances nous sont imposées. Ce seraient alors ces croyances qui devraient être douteuses, puisque le libre arbitre n’intervient pas dans leur formation. Cependant la seule certitude indéniable est celle que nous ne sommes pas libres de rejeter. Je veux parler de la certitude qui s’attache au fait de conscience considéré comme phénomène subjectif. M’est-il possible, quand je souffre, non pas d’affirmer, mais de croire que je ne souffre pas ? Non, car, au moment où je crois ne pas souffrir, je ne souffre pas. Il faut admettre ou bien que tous nos actes psychiques, peine, plaisir, sensation, etc., sont toujours le produit de la volonté, ou bien qu’ils s’imposent parfois à la croyance. Personne ne repoussera sans doute cette dernière hypothèse. Il suit de là que les faits dont nous sommes le plus sûrs sont ceux que nous ne pouvons mettre en doute. On dira peut-être que je fais un cercle vicieux, et que si nous sommes obligés de croire, il faut bien que nous ne puissions pas douter ; mais cette seule considération suffirait dans toute autre circonstance pour me faire concevoir la possibilité du doute ; ici, rien ne peut y réussir. D’ailleurs, si l’on ne croyait pas au fait interne, toutes nos croyances disparaîtraient, le libre arbitre n’aurait plus aucune raison d’être. M. Renouvier distingue, il est vrai, l’apparence actuelle de la certitude ; cependant il suffit qu’il y ait croyance invincible et vraie pour prouver que la croyance vraie connue comme telle et le déterminisme ne sont pas incompatibles.

La liberté de se prononcer, si elle existe, s’exerce plus facilement quand l’évidence est moins grande. Il faudra faire plus d’effort pour retenir son jugement à proportion du plus grand nombre de raisons fortes qu’on a de se prononcer, et plus on a de raisons fortes de se prononcer, plus il y a de chances d’être dans le vrai, au moins après examen. Une théorie accompagnée d’une vérification expérimentale est plus difficile à repousser que l’hypothèse présentée sans vérification. Il résulte de là que plus on a de probabilités pour croire la vérité dans toute une classe de faits, moins le libre arbitre s’exerce facilement.