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ne leur ressemblaient en rien. La foi de ceux-ci était demeurée entière, et l’état d’hostilité où se trouvaient de nouveau catholiques et protestants la rendait étrangement farouche. Vanini faillit l’apprendre alors au prix de sa vie. Il était allé passer quelques jours avec le fils du président au château de Francon, situé dans les terres, à quinze lieues de Toulouse et dans le diocèse de Commenge. Le maître de la maison, qui était un gentilhomme de vieille souche, un Terssac-Monbéraut[1], dit-on, lui avait fait le meilleur accueil et s’était mis tout de suite avec lui sur le pied d’une certaine familiarité. Pompeïo en conclut qu’il était d’humeur à tout entendre, et, un jour qu’ils se trouvaient seuls ensemble à causer, comme il fat question de Jésus-Christ, il soutint que c’était un homme comme un autre, né d’une femme comme une autre… bref, il répéta, ou accentua avec ses malices habituelles, tout ce qu’il a ait dit à ce propos dans ses Dialogues. Or, pendant qu’il parlait ainsi en plaisantant, Francon l’écoutait en frémissant d’horreur. Les traits lancés contre la divinité du Christ sonnaient à ses oreilles comme autant de blasphèmes. Il ne disait rien, mais une violente colère l’agitait intérieurement ; enfin, la pensée lui vint de tuer sur-le-champ cet exécrable sacrilège : il mit deux fois la main sur son poignard ; il l’aurait plongé dans le cœur de Pompeïo, mais il eut peur d’être inquiété après le meurtre, personne n’étant là pour témoigner avec lui de ce qu’il avait entendu[2]. Certes, mieux eût valu qu’il l’eût frappé alors ! mais il se contenta sans doute de le dénoncer à ceux qui l’avaient amené, et l’on a vu si ceux-là pouvaient s’étonner d’un pareil avis ou se résoudre à en tenir compte.

La disgrâce que Vanini aurait encourue dès lors est donc une pure fable, imaginée à dessein, par complaisance pour certains grands. Après M. de Redon, il fallait blanchir M. de Bertier, comme si l’approche d’un malheureux qui niait tous les dogmes les avait souillés l’un et l’autre. Tout le monde admettra que, s’il eût perdu dès ce temps-là la faveur de ses hôtes, Vanini n’existerait pas historiquement : sa destinée était changéeipso facto. Il tournait le dos à Toulouse, ou, s’il y entrait, chose difficile, c’était seul, sans ressources et sans répondants, en aventurier qui a conscience de la méfiance qu’il inspire. Il serait donc demeuré sur ses gardes. Il n’eût pénétré qu’avec précaution et comme en pays ennemi dans le monde des privilégiés, où, grâce à l’engouement fortuit d’un écolier, il venait d’entrer en météore. Tout lui en était nouveau, quoique tout pût lui en

  1. Du Bousquet, Mémoires pour servir à la continuation des annales de Toulouse de Lofaille, 1610-1622. Manuscrit aux archives de l’Hôtel de Ville de Toulouse.
  2. Le P. Garasse, Doctrine curieuse, p. 144-146.