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Vilaine jusqu’à la mer, et de pousser, en longeant les côtes, jusqu’à Cap-Breton. Vanini connaissait ce port, où il avait abordé une fois déjà à son retour d’Angleterre. Les lenteurs inévitables du cabotage ne seraient pas pour lui sans compensation : elles donneraient à ses cheveux le temps de repousser et d’effacer la trace de sa tonsure monacale ou sacerdotale.

Il ne paraît pas que rien l’ait empêché de suivre cet itinéraire puisque, dans le courant de l’été 1617, il était certainement sur la route de Bayonne à Toulouse. Là, pour quelque raison, qui se trouvait peut-être au fond de sa bourse, il quitta la direction du Languedoc, et, remontant vers le nord-est, il s’achemina vers Condom. Il allait s’y essayer, non pas à faire le médecin, — les Secrets de la nature contiennent déjà de ses ordonnances, — mais à vivre de la médecine. Un cavalier de sa figure et d’un esprit si en dehors ne pouvait passer inaperçu dans une petite ville. Quoiqu’il y eût dans son fait quelque peu de l’aventurier, il ne laissa pas de s’attirer, presque tout de suite, une certaine considération. Un des principaux bourgeois voulut même l’avoir à sa table. Ce bourgeois n’était pas, comme on pourrait le croire, le premier venu : il compte parmi les historiens de France[1]. C’était Scipion Dupleix, ancienne créature de la reine Marguerite, et qui fut plus tard l’apologiste pensionné de Richelieu. Il avait convié en même temps, comme pour prendre la mesure de l’empirique, deux doctes médecins ; il les nomme les sieurs de La Tournerie et Guillot : de bons catholiques, dit-il ; mais ce n’était pas à ce titre qu’il les avait invités, car de son aveu, pendant les deux mois ou environ que le seigneur Pompée resta à Condom, « on n’eut pas advis qu’il eust tenu aucun discours d’impiété à personne ». Aussi ne le mit-on pas sur le chapitre de la religion ; on l’attaqua sur la philosophie et sur la médecine. Ses interlocuteurs trouvèrent « qu’il n’y avoit pas fait grand progrès, et mesmes qu’il estoit bien empesché de parler congruement latin. » Dupleix, faisant réflexion au discours plein d’élégance et de doctrine qu’il prononça depuis devant ses juges, soupçonne qu’il « faisoit l’idiot » chez lui, « par quelque malicieux artifice ». Mais, s’il y eut chose au monde que Vanini n’ait jamais aimé à dissimuler, ce fut son savoir. En cette circonstance, on peut être sûr qu’il fut inconsciemment mauvais latiniste.

Quelque temps après ce banquet philosophique, il lui arriva une aventure qui aide à interpréter le καταπυγωνέστερος du P. Mersenne,

  1. Scipion Dupleix, Histoire de Louis le Juste. Paris, Michel Sonnius, 1635, sous l’année 1617.