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On n’est plus très sensible aujourd’hui à ce genre d’observations. Habitués que nous sommes, en ce qui concerne la Bible, à un mode d’examen plus relevé, ces premières attaques à son autorité font sur notre esprit la même impression que feraient sur notre oreille les fredons démodés des chansons d’autrefois. Mais pour les lecteurs contemporains, fort novices en fait de critique, elles avaient — le succès du livre le prouve — quelque chose de saisissant. Je ne sais toutefois s’ils n’étaient pas encore plus touchés par les arguments qui s’en prenaient à leurs motifs actuels de croire, j’entends les ex-voto visibles et tangibles, exposés dans les sanctuaires catholiques, pour démontrer en quelque sorte la vertu de la religion. Alexandre fait observer que l’antiquité avait rendu à ses idoles de semblables témoignages. Des milliers de peintures votives, suspendues à l’entrée des temples, attestaient à tout venant la reconnaissance des païens qui croyaient devoir la vie au pouvoir secourable de leurs fausses divinités. Jules-César donne de ce fait une explication qui vise obliquement d’autres prêtres que ceux des idoles.

« Bon ! l’on ne représentait pas dans ces peintures votives tous ceux qui avaient péri, quoiqu’ils eussent invoqué les dieux. Mais venons au fait. Quelqu’un se trouvait-il en danger ? Aussitôt, il avait recours aux dieux : c’était des vœux, des prières ! Si, par un pur effet du hasard, les choses s’arrangeaient selon son vœu, il se croyait tenu par cela même de rendre grâces aux dieux de sa bonne fortune ; autrement, le pontife lui en faisait une obligation. S’il survivait seulement, sans que d’ailleurs le succès répondit à son vœu, les prêtres avaient soin de répéter que c’était par sa faute, qu’il était trop chargé de crimes, et que pour cette raison les dieux n’avaient pas exaucé sa prière. Pourtant, si c’était un homme pieux qui eût éprouvé ce mécompte, ils alléguaient la miséricorde des dieux qui châtient dès cette vie les mortels qui leur sont chers. Il va sans dire que, si ceux qui avaient fait des vœux avaient péri, personne n’était plus là pour reprocher aux dieux leur indifférence ou leur dureté. C’était avec ces vaines superstitions que les prêtres trompaient le peuple. — Pourtant, dit Alexandre, qui tient encore pour le pouvoir des divinités païennes, Pyrrhus, roi d’Epire, qui avait pillé à Locres le trésor de Proserpine, en fut puni par un naufrage. — Denys, répond Jules-César, avait aussi pillé le trésor de la même Proserpine de Locres : les vents ne lui en furent pas moins favorables, et lui, disait à ses compagnons, en se moquant des dieux : Voyez donc, comme nous naviguons [heureusement, nous autres sacrilèges, par la grâce des dieux immortels[1] !

  1. De arcan., p. 411, 412 ; Amphit., p. 79.