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rencontre chez les grands seigneurs de ce temps-là avec la désuétude de la foi. Ni lui ni les athéistes de son espèce ne visaient évidemment à détruire la métaphysique de l’Église. Leur libertinage était absolument personnel ; ils auraient pu dire avec Horace : « Credat Judæus Apella, Ego non. » Mais, comme leur incrédulité était plutôt instinctive que délibérée, ils étaient bien aises d’apprendre des docteurs de profession qu’elle était fondée en raison. Or Vanini était passé maître en ce genre de démonstration. C’est même son talent d’indiquer, d’exprimer et de justifier, en pareille matière, les répugnances du sens commun qui constitue toute sa philosophie. C’était assurément à cause de ce talent qu’Arthur d’Epinay faisait de lui « si grand conte ». Aussi ne saurait-on admettre qu’il lui ait su mauvais gré de l’avoir exercé jusque dans la chaire ; s’il fit mine d’être fâché que Vanini eût compromis son patronage, ce ne fut sans doute que par grimace. Il lui conserva si bien son amitié, que c’est grâce à lui que notre philosophe, mis en goût de prosélytisme, trouva moyen de s’adresser encore au public et d’imprimer ce qu’il ne pouvait plus prêcher.

La publication des Secrets de la nature est une des mystifications les plus spirituelles qu’on ait imaginées contre la censure ; elle était bien aussi des plus téméraires ; les troubles du temps n’avaient pas suspendu à Paris l’action de la justice. Gardiens ombrageux de l’orthodoxie, le Parlement et la Sorbonne n’avaient rien relâché de leur sévérité. Pour qu’il s’aventurât à les exciter contre lui dans la situation difficile et précaire où il se trouvait encore, — car., malgré ses relations avec le chancelier Bruslart, il n’avait pas cessé d’être sous le coup d’une condamnation capitale, — il faut que le philosophe y ait été entraîné. C’est du reste ce que le libraire Adrien Périer s’efforce de persuader au lecteur. Avec une emphase quelque peu napolitaine, le malin éditeur se donne, lui, pour un autre Prométhée qui aurait dérobé cet autre feu du ciel, le manuscrit des Secrets. Vanini, dont il fait un second Aristote, n’aurait été averti du larcin qu’au cours de l’impression, quand force était bien qu’il y donnât les mains, puisqu’on s’était passé de son consentement. Au surplus, le second Aristote serait resté étranger à la publication de son œuvre, et, si elle est divisée en livres et en chapitres, c’est que deux très honnêtes gens, et des plus doctes, auraient pris la peine d’y travailler[1].

Il y avait des raisons pour qu’aux yeux du public cet avis du libraire ne pût point passer pour un subterfuge. Évidemment, l’auteur s’était mis en règle avec l’autorité. Et qui donc aurait suspecté son ouvrage ? Il paraissait avec privilège du roi. L’oncle d’Arthur d’Epinay,

  1. De arcan., avis de l’imprimeur.