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baudouin. — histoire critique de jules césar vanini

sous prétexte de faire le médecin[1] ; enfin il était à son aise avec le toujours brillant Bassompierre, à qui l’abbé de Redon l’avait présenté[2]. C’est lui-même qui nous donne le détail de ces relations. Les bribes de conversation qu’il nous rapporte témoignent au reste de la liberté de ses allures et de ses discours dans ce monde si élevé : « Comment, madame, il ne vous arrive jamais de voir en rêve un beau jeune homme qui vous enivre de ses baisers ! mais alors vous êtes malade ! Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Aristote, c’est Hippocrate, je vous le prouverai[3]. » « — D’où viennent les songes ? demandait Nicolas Bruslart. — Monsieur le chancelier, suivant Hippocrate, la prudence est en raison de la chaleur normale du sang. S’il se refroidit, et c’est ce qui arrive dans le sommeil, elle diminue, elle ne suffit plus à écarter de l’esprit les vains fantômes, les images chimériques. — Mais cette opinion me plairait assez. — J’en ai une autre, monseigneur, qui me paraît préférable, etc.[4]. »

Mais ce fut surtout auprès des jeunes gens de la cour, presque tous frondeurs et presque tous libertins, — il faut entendre sur cela le P. Garasse, — que l’esprit de Vanini devait faire fortune. Cette jeunesse, qu’il venait de maltraiter si doctoralement dans l’Amphithéâtre, ne lui en gardait pas rancune. Elle se fût prêtée elle-même, à l’occasion, à de semblables palinodies : les lois étaient si rigoureuses, les juges si intolérants ! Intus, ut libet, foris, ut moris est, c’était en Italie la règle de conduite de Cremonini, c’était la leur. Aussi observaient-ils fort exactement les pratiques extérieures de la dévotion[5] ; ils se faisaient même un jeu, où Bassompierre était surtout habile, dans leurs conversations publiques, de réduire en poudre les huguenots[6]. Mais comme ils se rattrapaient dans leurs réunions, dans le secret de leurs parties de plaisir ! ils y faisaient fête aux hommes de lettres qui leur donnaient à savourer de spirituelles impiétés ; ils les aidaient de toute manière à scandaliser les dévots par la publication de leurs ouvrages, et, s’ils les voyaient ensuite en péril, ils les couvraient hardiment de leur crédit. Qu’on juge d’après cela s’ils firent bon accueil à un nouveau Lucien qui venait les approvisionner contre la religion établie d’arguments sérieux et d’épigrammes ! En un rien de temps, dans ce milieu, Vanini devint l’homme à la mode ; il eut — c’est lui qui parle — un nom cé-

  1. De arcan., p. 486. On trouvera quelques-unes de ses ordonnances aux pages 177, 248, 446. Elles prescrivent surtout des aphrodisiaques.
  2. De arcan., dédicace à Bassompierre, p. 6.
  3. De arcan., p. 486.
  4. De arcan., p. 489.
  5. Le P. Garasse, S. J., Doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps., Paris, 1624.
  6. De arcan., dédicace, p. 6, et p. 422.