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tion inconséquente, et qui pouvait seulement occuper le premier plan chez les mystiques et les hérétiques.

Ici, il faut dire que le protestantisme spéculatif se livre à une illusion historique encore plus grande que toute l’Église chrétienne. Comme elle, il croit que le point de vue de sa doctrine peut être regardé comme essentiellement identique à celui de Jésus-Christ. Cette illusion est d’autant plus impardonnable dans le protestantisme spéculatif qu’il a des prétentions au sens historique et à la fidélité historique, prétentions que n’a pas l’Église en tant qu’Église. Jamais il n’est venu à l’idée de Jésus-Christ de méditer sur la transcendance et l’immanence et de prêcher un Dieu immanent et une délivrance immanente en opposition avec le concept de la création et la conscience transcendantale d’un Dieu tels qu’ils existaient chez son peuple. Jamais il n’a compris l’idée de la filiation avec Dieu autrement que dans le sens d’un rapport familial patriarcal ; nulle part cette idée ne constitue le point principal de sa prédication, qui, au contraire, roule sur l’avènement prochain du royaume de Jéhovah et sur les moyens de parvenir à y entrer.

Dans Paul, nous trouvons des passages qui peuvent être interprétés dans le sens du principe de l’immanence ; mais, d’une part, on est aujourd’hui porté à pousser un peu trop loin ce genre d’exégèse ; d’autre part, ces passages se présentent comme des inconséquences manifestes dans la doctrine de Paul, laquelle jouit précisément d’une si grande autorité dans la dogmatique chrétienne à cause de son enchaînement systématique. Dans le Nouveau Testament, l’Évangile de Jean se rapproche plus de la religion de l’immanence ; cependant nous n’y rencontrons aucune déclaration formelle en faveur de l’immanence. Aussi cet écrit n’a-t-il pas pu déterminer l’Église à faire des concessions importantes dans ce sens, abstraction faite de la relation d’immanence admise dans le sein de la Trinité d’après l’Évangile de Jean, pour faire compensation à l’immanence refusée à l’humanité. Le principe de l’immanence, tellement conforme à l’esprit arien que celui-ci a une tendance invincible à le soutenir, a en vérité cherché de tout temps à s’implanter dans l’Église sous une forme plus ou moins confuse ; mais il a toujours échoué dans cette tentative, à cause de son incompatibilité avec les théories fondamentales de la religion chrétienne de la délivrance, et il a toujours été justement attaqué comme une hérésie. Dans l’Évangile de Jean, nous ne devons voir que le premier essai d’une modification arienne du christianisme issu de source sémitique, essai qui devait rester aussi inutile que tous les suivants, parce qu’il fallait renverser toutes les bases fondamentales du système