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du divin et de l’humain dans la personnalité unique d’un libérateur au lieu de la chercher dans la conscience autonome de toute âme religieuse, le rationalisme a tort de nier la divinité faite homme dans un homme particulier, par le seul motif qu’il la nie dans l’humanité en général ; il fait disparaître ainsi tout caractère divin de la religion, ou du moins il le recule jusqu’à un au delà transcendant à l’homme. La philosophie religieuse spéculative évite les deux défauts et combine ce qu’il y a de vrai dans les deux systèmes, en conservant le contenu religieux du supra-naturalisme et en contentant cependant toutes les exigences critiques du rationalisme. La solution spéculative de cette question se distingue de toutes les autres tentatives de concilier les deux extrêmes, en ce que celles-ci continuent d’identifier le principe de la délivrance avec le fondateur de la religion de la délivrance, tandis qu’elle voit dans cette identification un vain préjugé et le véritable obstacle qui empêche de résoudre les contradictions inhérentes à ces tentatives. Dans sa dogmatique, Biedermainn a démontré ce fait en vrai maître. Toute tentative de maintenir dorénavant cette identification est blâmable à un double point de vue : elle est contraire à l’histoire et à l’esprit philosophique ; elle est obligée d’un côté de présenter une fiction idéale comme un fait historique, et d’un autre côté elle attache à un principe idéal un lest historique qui en trouble nécessairement la pureté et qui, étant démontré faux par la critique, empêche l’admission des principes.

Il faut nécessairement renoncer à considérer Jesus-Christ comme libérateur dans le sens admis jusqu’ici, après qu’on a écarté plus haut par la critique des doctrines de la délivrance extérieure la possibilité de regarder la mort de Jésus-Christ sur la croix comme son véritable acte de délivrance. Si l’on voulait encore lui donner le nom de libérateur, il faudrait bien comprendre que cette dénomination pourrait seulement être prise dans un sens qui s’applique tout aussi bien à Gautama Bouddha, et l’orthodoxie elle-même pourrait bien ne pas tenir à voir dans Jésus-Christ un pareil Sauveur, Ce n’est plus le Jésus historique de Nazareth que le protestantisme considère comme le libérateur ; c’est un être idéal auquel on a donné ce nom et qui est la personnification symbolique du principe purement spirituel de la délivrance, absolument comme on pourrait reconnaître aussi au culte catholique des saints une valeur symbolique ; Jésus lui-même doit se contenter de l’honneur d’avoir enseigné aux habitants des pays méditerranéens le principe de la délivrance dont il présente le type réalisé[1]. L’image idéale du Christ avec les liens symboliques

  1. Cf. l’écrit de Pfleiderer : Zur religiösen Verständigung. Troisième discours : Erlösung und Erlöser » (Berlin, 1879).