rationnels où se trouve la limite du domaine de la raison et pourquoi ce domaine cesse précisément au delà de cette limite. Si la raison peut prouver la possibilité, la réalité et la nécessité d’une révélation supra-rationnelle, elle fournit aussi la preuve que celle-ci est soumise à sa juridiction, et elle ne peut manquer d’indiquer elle-même le contenu de ce qui prétend être au-dessus d’elle.
Ainsi le rationalisme est la conséquence directe du supra-naturalisme, puisqu’il écarte absolument ce qui est contraire à la raison et proclame l’autonomie de la raison dans tout le domaine de la connaissance religieuse. Mais le rationalisme est dénué de toute puissance créatrice ; sa réflexion critique peut seulement détruire, elle ne saurait rien édifier. Quand il décompose la forme représentative des idées religieuses, il fait disparaître avec elle le contenu, « le fond d’une vérité religieuse plus profonde qui se cache sous l’enveloppe symbolique de la représentation. » Si donc, au point de vue de la forme, le rationalisme est dans son droit en combattant le supra-naturalisme, ce dernier n’a pas tort en déclarant que, en minant et en dépouillant ainsi la foi, on fait cesser tout sentiment religieux profond.
L’élément positif qui manque au rationalisme et que possède le supra-naturalisme, sous une forme à la vérité qui ne peut plus servir, se trouve à un degré élevé dans la mystique religieuse, et cela sous une forme qui n’exclut nullement une alliance avec le rationalisme. Réduite à elle-même, la doctrine mystique est insuffisante, parce qu’elle représente la conscience religieuse uniquement dans ses rapports directs avec Dieu, l’union intime avec l’être divin, sans autre détermination de ces rapports et avec l’exclusion de toute intervention de la réflexion ; mais, si elle est alliée au rationalisme, la conscience mystique est la force qui produit, conserve et renouvelle toute la vie religieuse. Réduite à elle-même, la mystique, dénuée de toutes déterminations fixes, s’égare dans des rêves fantastiques qui dégénèrent facilement en excès sensuels, ou elle cherche à trouver le soutien qui lui manque en s’appuyant sans critique sur le dogme traditionnel qu’elle arrange à sa guise avec le sentiment de sa supériorité. À cause de ce double danger, l’orthodoxie craint la mystique presque plus que le rationalisme, d’autant plus que ce dernier convient seulement aux âmes qui éprouvent faiblement le besoin d’une religion. Mais si la doctrine mystique renonce à sa prétention des rapports directs avec Dieu, par où elle se transforme en mysticisme, et si elle contracte une alliance avec le rationalisme, elle devient le levier du progrès de la vie religieuse, la forme sous laquelle la raison inconsciente se montre créatrice dans le domaine religieux, l’élément de la synthèse en face de l’analyse de l’activité intellectuelle consciente.