Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VIII.djvu/23

Cette page n’a pas encore été corrigée
17
fouillée. — la philosophie des idées-forces

psychiques et physiques, qui, selon leur nature, rentrent dans le domaine de l’idéalisme ou dans celui du naturalisme[1].

VII. Les mathématiques emploient, sous le nom de passage à la limite, une sorte d’induction. Elle consiste, comme on sait, à établir d’abord des relations calculables ou mesurables entre des grandeurs qui varient en se rapprochant d’une limite, et à appliquer ensuite ces mêmes relations aux limites dont les grandeurs se rapprochent et qui étaient inaccessibles au calcul direct ; les relations du fini sont ainsi transportées dans l’infini. Peut-être y aurait-il lieu parfois, en métaphysique, d’imiter avec précaution cette méthode et de transporter par hypothèse dans l’inaccessible réalité les relations les plus fondamentales de l’ordre psychique ou physique, dégagées par les procédés que nous venons de décrire. Cette méthode, toute conjecturale d’ailleurs au point de vue théorique, pourrait avoir une réelle valeur au point de vue pratique. Il est certain, par exemple, qu’en agissant sous l’idée de liberté — cette idée fût-elle subjective — nous pouvons nous rapprocher indéfiniment de ce que nous serions si nous possédions une liberté objectivement réelle. Au point de vue théorique, il reste toujours une distance entre la liberté et l’idée de liberté, comme entre le polygone et le cercle ; mais, dans la pratique, cette distance peut se diminuer indéfiniment. Nous nous trouvons alors dans le cas du mathématicien qui peut démontrer que, si le transport à la limite des relations entre les variables renferme une erreur, cette erreur peut du moins être réduite au-dessous de toute quantité donnée et, par suite, considérée comme nulle. Nous pouvons donc, dans la pratique, nous considérer comme libres quand nous agissons sous l’idée de liberté et avec le désir de réaliser cette idée, en nous rendant compte des motifs de nos actions et en les subordonnant tous au motif suprême d’être libre. En ce cas, nous pouvons toujours rendre Terreur, si erreur il y a, plus petite que toute quantité fixe. L’hypothèse de notre liberté se réalise ainsi elle-même dans la pratique en se concevant ; le métaphysicien pourra croire par induction que cette hypothèse a aussi quelque fondement dans la nature absolue de l’activité humaine. À vrai dire, c’est sur ces faits, sur cette induction spontanée, sur cet instinctif passage aux limites que repose la croyance populaire à la liberté.

  1. Nous avons essayé, dans La liberté et le déterminisme, de montrer que l’action mécanique et motrice, parfois mesurable approximativement, de l’idée de liberté considérée comme motif, est une sorte d’équivalent de la liberté dans l’ordre mécanique ; de même, le désir d’être libre en est un équivalent et un substitut dans l’ordre téléologique. Nous avons aussi montré comment les doctrines de la force et de l’intérêt présentent un équivalent du droit dans la force vraiment majeure, qui est le maximum de puissance intellectuelle, et dans l’utilité majeure, qui est l’utilité intellectuelle.