fait que la refléter. Sa volonté n’est pour rien dans la coordination qu’il produit des idées et des sentiments contemporains ; l’arrangement qu’il leur impose est fortuit ; il dépend de la manière dont ils se sont présentés à lui au hasard des enseignements qu’il a reçus, des conversations auxquelles il a été mêlé, des livres qu’il a lus, des grands débats dont il a entendu l’écho. « La disposition des idées dans un système, bien qu’accidentelle, n’est ni arbitraire ni libre. Il n’est jamais une création de la volonté humaine. » Comment le serait-il" ? « Le moi est parfaitement vide ; c’est le milieu qui le remplit. » L’ordre des éléments constitutifs de sa conscience, comme la nature de ces éléments, tout dépend donc des actions extérieures.
Ici, quels que soient les égards, quelles que soient les sympathies que mérite le savant auteur, force nous est de dire que de telles assertions sont exorbitantes. Est-il un seul instant soutenable que le moi est vide au sens où il le prend, c’est-à-dire que la conscience de chaque homme qui naît est dépourvue de toute prédisposition, de toute prédétermination héréditaire ? Ne résulte-t-il pas de ces dispositions personnelles que chacun de nous non seulement voit le monde sous un angle particulier et avec des yeux différents, mais de plus interprète différemment les idées qu’il reçoit, transforme à sa manière les impressions qu’il subit ? N’est-il pas évident que si tous les moi qui composent une société sont vides, si personne n’apporte de tendances personnelles, l’âme sociale tout entière restera indéterminée à un état plutôt qu’à un autre, sera vide elle aussi ? Eh bien, quoique de telles propositions ne nous paraissent pas pouvoir se défendre, nous voulons passer outre encore et les supposer acceptées. Imaginons que l’auteur nous réponde par exemple que l’action de l’hérédité, c’est encore celle du milieu social, et que par conséquent, à notre point de vue comme au sien, le philosophe est fonction de son milieu et de son temps, en même temps que des milieux disparus et des temps écoulés. Accordons-lui tout cela ; nous allons voir que ses conclusions n’en sont pas plus légitimes.
En effet, si la pensée d’un philosophe n’est qu’une mosaïque de théories empruntées, qu’en résulte-t-il en ce qui concerne l’histoire de la philosophie et sa méthode ? M. Turbiglio conclut de ces prémisses que la tâche de l’historien consistera à rechercher dans la pensée de chaque individu la pensée de son époque, et que comme cette pensée lui est parvenue par fragments, suivant un ordre fortuit, il faudra que l’historien comble les lacunes et restaure l’ordre véritable. Mais point du tout ! Si ce que l’on a exposé ci-dessus est vrai, l’historien de la philosophie devra examiner en quoi la pensée de l’époque, les aspirations et les conceptions de la société contemporaine ont contribué à former cette âme individuelle et non une autre ; et si, comme le veut l’hypothèse, elles lui ont tout donné, car on ne comprend pas même comment d’après ce système il y aurait dans l’âme individuelle d’autres éléments que des éléments d’emprunt, dès lors le point intéressant sera de chercher dans quel ordre et par quel angle d’incidence les actions