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analyses. — turbiglio. Le antitesi , etc.

Sebastlano Turbiglio. — Le antitesi tra il Medioevo a l’Eta moderna nella storia della filosofia. Les antithèses entre le moyen âge et l’âge moderne dans l’histoire de la philosophie et particulièrement dans la doctrine morale de Malebranche. Rome, 1877.

La valeur scientifique d’un livre ne se mesure pas toujours au talent de l’écrivain. S’il s’agit d’un ouvrage scientifique, c’est surtout la méthode selon laquelle il est conçu qui détermine son utilité et mesure les services qu’il peut rendre. Un travail historique où les faits allégués ne seraient rapportés à aucune date ni à aucune source authentique serait considéré comme non avenu par les historiens, quelle que soit la profondeur et le génie inventif de son auteur. C’est un jugement analogue que, d’accord avec Mind[1], nous avons dû porter ici sur le Spinoza de M. Turbiglio. Si l’histoire de la philosophie participe aux conditions de toute histoire, nous avions le droit de demander à cet estimable auteur sur quelles preuves de fait il se fondait pour soutenir que Spinoza ne s’était pas compris et qu’il avait à son insu professé une philosophie toute différente de celle que, sur la foi de l’Éthique, on lui attribue d’ordinaire. Ces preuves manquant, et l’écrivain n’annonçant même pas qu’il en eût à sa disposition, son œuvre tombait d’elle-même en quelque sorte, comme œuvre historique, et il devenait difficile de dire à quel genre elle appartenait.

Aujourd’hui, M. Turbiglio nous présente un Malebranche conçu absolument dans le même esprit. Est-il nécessaire que nous examinions ce livre en détail, comme nous l’avons fait pour le Spinoza, non sans de longs efforts ? Il faudrait en tout cas que cela fût possible. En s’abstenant cette fois de citer une ligne de Malebranche ou de renvoyer du moins aux passages du texte original qu’il interprète, l’auteur nous a enlevé tout moyen de discuter et de contrôler ses assertions. D’ailleurs sur quoi porterait la discussion ? Dirons-nous que, d’après tel ou tel texte, Malebranche a ou n’a pas pensé comme M. Turbiglio assure qu’il l’a fait ? Mais la thèse est précisément que Malebranche, comme Locke[2], comme Spinoza, ne savait pas lui-même quel était son système ; que ses propositions explicites ne renferment pas sa véritable pensée ; qu’il y a en un mol un Malebranche inconscient, le vrai, qui fut ignoré du Malebranche conscient, celui qui nous connaissons. Or nous ne savons aucune voie surnaturelle que nous permette de scruter à l’heure qu’il est les parties inconscientes de ce grand esprit ; tout débat sur ce sujet serait peine perdue. Dirons-nous que les différentes phases signalées dans sa pensée par M. Turbiglio se sont ou ne se sont pas déroulées dans l’ordre indiqué ?

  1. Si d’autres revues n’ont pas condamné l’ouvrage pour les mêmes raisons, cela peut tenir, il est vrai, à la différence des points de vue, et M. Turbiglio peut en prendre avantage ; mais cela peut tenir aussi à la manière de l’auteur, qui est obscure et enveloppée, bien que sa pensée ait de la force.
  2. L’auteur a publié en 1805 un ouvrage intitulé La philosophie expérimentale de John Locke reconstruite à priori.