Quant à la manière dont il a conçu son livre, il a tâché, dit-il, de faire quelque chose d’intermédiaire entre les « abrégés » d’Erdmann et d’Ueberweg, trop denses pour se faire lire du grand public, et les vastes ouvrages, comme celui de Kuno Fischer, si érudits et si profonds, mais dont l’étude demande trop de temps. Il s’adresse surtout aux savants dont la philosophie n’est pas l’occupation principale, mais qui ne veulent pas cependant en ignorer l’histoire, aux esprits cultivés, familiers avec la pensée scientifique, mais non spécialement initiés. Voilà à quels lecteurs il voudrait présenter clairement, et sans trop de développement, les résultats certains des recherches historiques. Fait-il donc œuvre de vulgarisation ? Non ; il s’en défend. « La philosophie, dit-il avec raison, ne souffre pas d’être exposée sous forme populaire, même dans ses résultats généraux ; elle exige toujours l’exactitude et la profondeur. » Ce qu’il a en vue, c’est la lucidité dans l’exactitude. Son modèle est l’Histoire de la philosophie allemande de Zeller, dont il fait un juste éloge. Ce que Zeller[1] a fait pour la seule philosophie allemande, il entreprend de le faire pour tout l’ensemble de la philosophie. C’est, selon lui, un livre qui manque et dont le besoin se fait grandement sentir : « On ne s’expliquerait pas autrement qu’un ouvrage aussi partial et exclusif, aussi dénué de vrai sens historique que celui de Lewes[2], ait pu avoir du succès en Allemagne. » Peut-être ce jugement est-il bien sévère. Le succès du livre de Lewes s’explique assez par les qualités d’exposition et la verve critique que l’auteur y a déployées. Après cela, j’accorde volontiers que l’Allemagne l’emporte sur l’Angleterre (comme sur nous, du reste) pour l’histoire de la philosophie, et que l’ouvrage de M. Windelband promet de remplacer fort utilement le volume de Lewes consacré à la même période historique. Dès le premier aspect, on remarque une différence frappante entre cette nouvelle Histoire de la philosophie et les publications auxquelles l’Allemagne nous a accoutumés. Point de notes, point de polémique, aucun appel à l’autorité des travaux spéciaux, aucune mention des monographies et des thèses particulières. L’auteur a tout lu, tout digéré ; mais il a voulu faire une œuvre à lire, non un répertoire à consulter. L’érudition ici se dissimule à dessein. Ce livre est, à cet égard, un curieux exemple d’une tendance nouvelle des esprits en Allemagne, tendance déjà signalée plus d’une fois dans des productions d’un autre ordre et qui semble devenir générale. Pendant que, las du reproche de légèreté, nous nous appliquons à imiter la manière de travailler des Allemands, las du reproche de lourdeur et de pédanterie, les Allemands font un effort visible pour se rapprocher de notre manière de composer et d’écrire. Il y a quelque chose à gagner de part et d’autre, à tâcher ainsi de se donner les qualités dont on manque. Il ne faut que prendre