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analyses. — astié. Mélanges de Théologie.

gie d’un saint Paul semble insupportable à un homme qui a pratiqué les méthodes delà critique moderne, s’il y voit lu subtilité du pharisien associée aux élans les plus généreux, peut-on croire qu’il trouvera en Jésus de Nazareth la satisfaction complète de ses besoins religieux, l'absolu moral destiné à remplacer l’absolu métaphysique, dont il ne veut plus ? Voilà longtemps que M. Pécaut, un des esprits les plus distingués du protestantisme français, a fait voir aux chefs du mouvement libéral qu’ils faisaient fausse route en donnant pour une vérité scientifique et immédiament reconnue par l’âme — selon la preuve de l’évidence préconisée par Descartes — cette assertion que la « communion de Jésus avec Dieu » a toujours été sans atteinte, sans faiblesse, sans arrêt. Comment peut-on, quand on se place au point de vue de la critique historique, affirmer que la vie d’un homme qui a existé il y a dix-huit siècles a été parfaite, sans péché, sous le prétexte que nous ressentons en présence de l’image que les Évangiles nous donnent de Jésus l’impression du bien absolu ? Reconnaissez en lui une force morale incomparable, expliquez par là son action directe et surtout son action indirecte ; mais méfiez-vous de cette affirmation que, tant la vie que l’enseignement de celui dont ses disciples devaient faire la seconde personne de la Trinité constituent pour tous les siècles une règle définitive. Strauss et M. Ed. de Hartmann ont cruellement réfuté cette argumentation fragile ; ils ont montré entre autres que l’œuvre de Jésus devait se résumer dans une pensée maîtresse : travailler à l’avènement du royaume messianique ou du règne de Dieu sur la terre, et que, d’après les textes les plus incontestables, l’idée que Jésus se faisait de ce royaume ne se distinguait pas essentiellement des conceptions matérialistes de ses contemporains[1] ; qu’à côté de cela il y ait chez Jésus de Nazareth un développement religieux supérieur, personne ne le conteste ; mais on ne saurait admettre que le résumé donné plus haut, d’après les libéraux, de l’œuvre de Jésus, puisse être tenu d’une part comme exact, de l’autre comme constituant réellement l’absolu moral sur lequel pivoterait l’histoire du monde. On s’en est bien aperçu, sans en oser faire ouvertement l’aveu. Cette « religion de Jésus », comme on l’avait baptisée par opposition à la religion de la Bible ou des apôtres, contenait des éléments admirables et incomparables ; mais, serrée de près, elle ne répondait en aucune façon à ce qu’on attendait d’elle. La tentative faite pour extraire le diamant de sa gangue avait échoué ; on n’y avait trouvé que de beaux fragments. Cette formule, en un mot : « Nous sommes chrétiens parce que nous professons essentiellement la religion telle que le Christ l’a conçue et prêchée, en la ramenant systématiquement à cette vie intérieure dont l’amour de Dieu et des hommes est le mobile déterminant, » cette formule, que nous empruntons à un écrivain distingué, M. Albert Réville, a pu figurer avantageusement dans une polémique ; mais elle a fait son temps. Je ne puis que répéter ce que je disais à cet

  1. Voyez aussi notre Histoire des idées messianiques, chap. VI.