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à tenir compte du mouvement des esprits et des sciences au milieu duquel elle se trouve placée ? Voilà les deux questions que nous tâcherons de traiter à notre tour[1].

Ce n’est pas d’aujourd’hui que l’on essaye de distinguer l’Évangile de l’enveloppe variable que lui ont donnée les différentes époques et les différentes nations chrétiennes. Tandis que le catholicisme déclare que le dogme, une fois fixé par les conciles et par le pape, reste immuable et indissoluble de l’Évangile, les protestants ont identifié ce dernier avec la Bible, tout en prenant la précaution de placer à côté de celle-ci des professions de foi détaillées, qui, par une inconséquence singulière, visaient les principales croyances du catholicisme. Le protestantisme libéral a eu l’honneur de signaler ce paralogisme ; il s’est appuyé ensuite sur les résultats de l’étude comparative des livres sacrés pour montrer leur inégale valeur au point de vue religieux. Il a restreint le sens du mot Évangile à tout ce qui peut passer pour l’enseignement authentique de Jésus de Nazareth, et tout particulièrement aux principes religieux de cet enseignement, envisagés à part des croyances particulières aux juifs, que Jésus a dû naturellement partager. Les deux idées de Dieu, père des hommes, et d’une sorte de communion morale entre la divinité et Jésus exprimée par le terme mystique de « Fils unique de Dieu », appliqué à ce dernier, lui ont semblé résumer ce qu’il y a d’original et d’éternellement vrai dans le christianisme naissant. L’Ancien Testament contient la préparation de cette « bonne nouvelle » dans une série d’écrits qui expriment des conceptions toujours plus hautes, toujours plus spiritualisées. Le Nouveau Testament, en dehors des récits authentiques relatifs à Jésus, nous montre à son tour l’effort fait par les disciples du grand réformateur pour trouver une place à leur foi en Jésus dans le cadre de leurs anciennes croyances. La vérité divine ne cesse de briller dans le vase où la renferment des adorateurs encore esclaves de la lettre ; mais il a fallu dix-huit siècles pour arriver à comprendre que le vase n’est pas nécessaire à la lumière, que la théologie d’un saint Paul ou d’un saint Jean n’en est que le premier et incommode contenant, qui la dérobait aux yeux au moins autant qu’elle la conservait.

Il y a dans cette manière de voir une grande part de vérité, mélangée d’une grave illusion. « Tandis que l’orthodoxie, dit avec beaucoup de raison M. Astié, en croyant de bonne foi faire revivre l’enseignement apostolique, ne sait le lire qu’à travers le prisme peu sûr de la dogmatique historique, le libéralisme impute à la théologie biblique les vagues lieux communs de la philosophie moderne. » En effet, si la théolo-

  1. M. Astié a été amené à traiter ces points par une brochure que nous avons publiée il y a trois ans sous ce titre : Quelques réflexions sur la crise de l’Église réformée de France. Il veut bien attacher quelque importance à celte publication de circonstance, et nous ne pouvons que lui en être très reconnaissant. II a eu l’indulgence de ne pas relever certaines contradictions ainsi que des jugements trop absolus, qui s’expliquent par le caractère même du travail, écrit pour faire aboutir un compromis entre les deux fractions qui se divisent les églises protestantes françaises.