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paulhan. — l’erreur et la sélection.

pêchées ou modifiées par un processus physiologique ; mais l’acte paraît bien déterminé par l’influence la plus forte, par la cause que les circonstances où elle se trouve font triompher de la résistance ou de la concurrence qu’elle rencontre. Les facteurs que nous avons déjà étudiés se retrouvent ici pour déterminer l’issue de la lutte.

Habitude. — Quelques lapsus linguæ ou calami s’expliquent par l’habitude. Le fait est commun. Un de mes amis, écrivant une lettre dont le destinataire habitait une ville renommée pour ses vins, remplaça sur l’enveloppe le nom du département par la date 1878. La tendance à faire suivre le nom de la ville, employée souvent pour désigner le vin qu’on y prépare, d’une date, avait vaincu, grâce à l’inattention, la tendance à mettre le nom du département.

De même que l’intelligence comprend mieux ce qui a été déjà perçu et aperçoit plus facilement les ressemblances que les différences, l’activité est plutôt excitée par les influences qui ont déjà agi sur elle ou qui ressemblent à celles-là. Si nous sommes prévenus que quelqu’un va nous passer brusquement la main devant les yeux, il est souvent impossible, à la première tentative, de les tenir ouverts, quelque volonté qu’on en ait ; ce n’est qu’après quelques répétitions qu’on peut y parvenir. « Que de fois, dit M. Luys, ne nous arrive-t-il pas, à nous autres médecins, d’entendre, chaque fois que nous abordons un de nos clients fiévreux, alité, et que nous lui adressons la phrase d’usage : « Comment allez-vous ? » nous répondre invariablement : « Très bien, » tout d’abord, pour se reprendre immédiatement et commencer le récit de ses souffrances[1]. »

Ce ne sont pas seulement les phénomènes du langage qui nous montrent la force de l’habitude dans la lutte des causes virtuelles. « Une petite fille de trois mois et demi, dit M. B. Pérez, fut mise un moment sur les bras de son oncle, qui avait une belle rose à sa boutonnière ; il fut très surpris de voir l’enfant tendre les deux bras, presser son gilet à deux mains comme lorsqu’elle tète, et bientôt coller ses lèvres à sa chemise et exécuter des mouvements de succion : la nourrice avoua que, depuis quelques jours, elle achetait, quand elle sortait avec l’enfant, un bouquet de violettes qu’elle cachait sous son corsage : voici donc une sensation olfactive associée à l’idée et aux gestes de succion[2]. »

Une fois qu’une action est devenue habituelle, la moindre excitation suffit pour la déterminer. Dans les excitations externes ou internes qui tendent à mettre l’activité en jeu, celles-là seules y parvien-

  1. Luys, Etudes de physiologie el de pathologie cérébrales. Des actions réflexes du cerveau, p. 134.
  2. B. Pérez, Les trois premières années de l’enfant, p. 120.