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paulhan. — l’erreur et la sélection.

difficile. Souvent l’opération qui conduit à l’erreur est purement inconsciente ; non-seulement on ne comprend pas une théorie qui est en contradiction avec les idées qu’on a adoptées, mais on ne se doute pas qu’on ne la comprend pas, on croit la comprendre, et, comme on n’en saisit en général qu’une partie défigurée ensuite par les associations d’idées qu’elle amène, on la trouve complètement absurde. Quiconque a discuté, si peu que ce soit, sur un sujet quelconque, a pu s’apercevoir que bien souvent ses arguments ne sont pas compris, et que les réponses qu’on oppose à ses raisonnements n’ont pas de rapport avec ce qu’il a dit. L’adversaire grâce à des associations d’idées, grâce à une organisation psychophysique différente, n’a pas saisi les raisons qu’on lui donne. Le milieu n’était pas favorable aux nouvelles idées qu’on voulait y introduire, et elles n’ont pu s’y établir. De plus, la lutte a été si courte et si peu vive qu’elle n’a pas excité dans le cerveau assez de trouble pour éveiller la conscience. Cela se produit quelquefois, bien qu’on ait étudié la question et examiné les arguments ; mais les mots, parlés ou écrits, ne réveillent pas les idées qu’ils devraient éveiller, ou bien ne les éveillent que faiblement, et ces idées sont bientôt étouffées. La parabole du grain qui tombe sur le roc ou dans les broussailles s’applique ici merveilleusement.

La manière dont certaines races acceptent ou plutôt paraissent accepter les nouvelles religions qu’on leur prêche montre cette loi psychologique. Les peuples, dans la religion qu’on leur offre, choisissent inconsciemment ce qui s’accorde avec leurs habitudes intellectuelles et morales, rejettent le reste, et, par les associations d’idées qui s’établissent, défigurent ce qu’ils ont retenu. Les nègres du Congo, dit M. Girard de Rialle, tout en paraissant convertis au christianisme, n’en sont pas moins fétichistes. Ils considèrent les prêtres comme des sorciers, les ouagangas des blancs. Dans les localités où l’appui du gouvernement a permis à ces ecclésiastiques d’extirper les anciennes croyances et les pratiques terribles ou repoussantes de l’ancienne religion fétichique, les nègres n’ont pas acquis pour cela des notions théologiques plus élevées ; ils considèrent Jésus-Christ comme le grand fétiche des blancs. Les prédications sur la vie future, l’autre monde, les récompenses et les peines après la mort, n’ont pas été comprises, et toutes ces idées se sont confondues dans la cervelle des noirs avec l’expatriation forcée de leurs compatriotes, embarqués comme esclaves sur des bateaux négriers, transportés en Amérique et qu’on ne revoyait jamais[1].

  1. Girard de Rialle, Mythologie comparée, I, 223.