Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VIII.djvu/186

Cette page n’a pas encore été corrigée
180
revue philosophique

Les mythes des sauvages paraissent fondés sur des conceptions de même ordre. « Je suis enclin à penser, dit M. Tylor, m’éloignant en cela d’une certaine mesure des vues du professeur Max Müller sur ce sujet, que la mythologie des races inférieures a pour fondement essentiel des analogies réelles et palpables, et que la grande extension de la métaphore verbale dans le mythe appartient à des périodes plus avancées. En un mot, je regarde le mythe matériel comme ayant été formé le premier, et le mythe verbal comme ne l’ayant été que le second[1]. » Il faut ajouter à la perception de l’analogie le fait que les différences ne frappent pas l’esprit des sauvages, et c’est là que se manifeste la sélection. Grâce aux habitudes d’esprit, certaines analogies s’emparent tout de suite de l’intelligence et empêchent les autres faits d’être aperçus, ou considérés autant qu’il le faudrait.

M. Tylor rapproche l’imagination mythique des hallucinations que donne la maladie. On voit que la concurrence et la sélection se manifestent dans les deux cas et de la même manière et produisent des erreurs semblables. Parmi ces illusions, on peut citer la croyance aux loups-garous, aux hommes changés en bêtes, etc.

L’animisme, la croyance à l’objectivité des données de la sensation dans le rêve, etc., et toutes les doctrines de ce genre, montrent l’effet de la sélection. Les ressemblances entre les faits empêchent de percevoir les différences qui les séparent ou d’y attacher assez d’importance. Les ressemblances s’imposent plus facilement à l’esprit, parce qu’elles réveillent des tendances existant déjà ; les différences exigeant, toutes choses égales d’ailleurs, un examen plus minutieux, seront négligées. Les théories de la substance, du réalisme naïf de l’absolu, paraissent avoir pour cause ce fait psychologique. Une généralisation trop rapide porte à croire que ce qui est en général bien ou beau, ce qui est jugé tel dans les conditions assez différentes, sera bien ou beau encore, quelles que soient les conditions ; que ce qui ne dépend pas de quelques conditions déterminées ne dépendra d’aucune condition. La sélection fait apercevoir ce qu’il y a de commun dans les différents cas que l’on examine ; les différences sont peu ou point aperçues, jusqu’à ce que ces différences aient été présentées à leur tour dans une série de cas différente de la première et assez souvent pour se faire remarquer.

Une fois qu’une théorie s’est fortement emparée de l’esprit d’un homme, on sait combien il lui est difficile d’en changer, que la théorie soit vraie ou fausse. Le temps surtout rend le changement

  1. Tylor, La civilisation primitive, I, 343.