art et ses connaissances au service de leurs idées. Et, en effet, c’est bien cela qu’il avait fait, c’est bien cela qu’il avait voulu. L’Amphithéâtre, il faut bien qu’on le sache, n’est pas tant un livre où l’on doive chercher ses pensées intimes qu’une manœuvre qui n’a d’autre visée que son intérêt. Il s’y place au point de vue des Jésuites. Quels sont en 1614 les plus redoutables ennemis de la religion ? Les incrédules. Guerre donc aux incrédules ! Qu’ils se disent philosophes, épicuriens, péripatéticiens ou stoïciens, sus à ces athées, car c’est leur vrai nom ! mais surtout sus aux misérables adeptes de la doctrine de Machiavel ! car ceux-là, qui se laissent appeler chrétiens-catholiques, osent bien nier positivement qu’un Dieu gouverne le monde ! Il n’y a, suivant eux, d’autre providence que celle des princes, et c’est cette providence toute humaine qui, pour maintenir la plèbe dans la servitude et dans le devoir, a donné cours à tout ce qui se raconte du ciel et de l’enfer[1].
C’était la thèse même qu’il avait soutenue déjà sous une autre forme, trois ans auparavant, pour se rendre favorable le nonce Ubaldini. Les raisons qu’il fait valoir ont tout l’air d’être empruntées à ses cahiers d’Université. Elles sont affilées et tranchantes ; mais elles font penser, comme du reste tous les livres de controverse, aux exécutions en effigie. Le coutelas brille, une tête tombe, les magistrats sont satisfaits, la populace applaudit ; pendant ce temps-là, le condamné court les champs et ne se doute pas qu’il vient de mourir.
Vanini se rendait parfaitement compte de cette impuissance de la discussion. Il avoue lui-même en riant dans ses Dialogues que l’Amphithéâtre n’est pas un livre de bonne foi. « Mais dans votre Amphithéâtre, lui dit Alexandre, vous avez expliqué pourquoi cet enfant parla dès le jour de sa naissance ? — jules césar. Je n’ajoute aucune foi à bien des choses qui sont dans ce livre. Cosi va il mondo. — alexandre. Je ne m’en étonne pas, et il m’arrive souvent de dire en notre langue : Questo mondo è una gabbia de matti[2]. » Aussi son énergie à asséner de grands coups inoffensifs a-t-elle quelque chose de tristement comique. Elle est tout à fait assortie à l’attitude théâtrale qu’il prend pour déclarer, dans l’avis au lecteur, qu’il va faire ce que personne peut-être n’a fait avant lui, et pourfendre les athées qui pullulent, pendant que « les héros de l’Église militante » en décousent avec les hérétiques. Il est évident qu’il frappait en réalité non sur les philosophes, mais sur l’esprit de ceux des jésuites qu’il