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baudouin. — histoire critique de jules césar vanini

ses habits, dans son équipage, un je ne sais quoi qui trahissait une origine britannique. Avec sa facilité d’assimilation, il était bien capable aussi, étant resté près de deux ans en Angleterre, d’avoir retenu quelque chose de la manière d’être et de l’accent de ces hérétiques d’Anglais. Et c’était plus qu’il ne fallait pour le rendre suspect à des Provençaux fort peu tolérants.

Il était trop près de Gênes, où il se rendait, pour que cette mésaventure, dont le souvenir remue en lui tant de fiel, pût abattre en rien son courage. D’ailleurs, il faut lui rendre cette justice, la mélancolie ne vint jamais à bout de sa foi en lui-même et de son insouciance. Il a toujours fait tête au malheur avec une grande fermeté et la plus allègre présence d’esprit. Il poursuivit son chemin sans être inquiété davantage, et il ne tarda guère à revoir son cher Jean-Marie Genocchi, le compagnon de ses études à l’Université de Padoue.


III


Depuis qu’ils s’étaient quittés, le temps avait donné leur forme dernière aux idées et au caractère encore indécis de Genocchi. Ce bon garçon, qui, l’on s’en souvient, avait vu une goutte de pluie se changer en grenouille, était devenu un théologien de mœurs graves, entêté de controverse et d’orthodoxie. Il venait de brûler sa poudre dans la grande bataille livrée par Molina à saint Thomas. Il était l’auteur d’un livre latin sur la grâce et le libre arbitre[1], où, tout passionné qu’il fût habituellement pour la tradition, il s’était rangé sous les enseignes des Jésuites, qui, à la vérité, étaient les plus forts, contre les Dominicains. Il appartenait tout entier à ses chefs de file.

C’eût été manquer de circonspection que de laisser voir à un tel homme qu’on avait fait autrement que lui, au moment surtout où l’on venait le trouver en fugitif et où l’on allait avoir besoin de toute son amitié, Vanini avait compris dès son arrivée qu’il fallait s’interdire de penser et d’agir librement, et que le mieux était de marcher dans l’ombre de son ami. Il en avait pris son parti, et, autant que le permettait sa nature capricieuse, il avait composé sa conduite et ses mœurs sur celles de Genocchi. N’oublions pas qu’il était prêtre et que cette attitude, qui aurait pu surprendre chez un philosophe déclaré, ne messeyait pas à son état, car je tiens pour certain qu’il avait repris sa soutane après l’avoir déchirée en Angleterre. Il ne s’en

  1. Amphith., p. 303, 304.