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baudouin. — histoire critique de jules césar vanini

de Jean-Baptiste[1]. Au mois d’août, les trois Italiens se séparèrent. Jean-Baptiste partit pour le Nord, avec l’archevêque d’York. Vanini resta auprès du primat, qui l’emmena avec lui en villégiature à Croydon d’abord, puis à Lambeth. Dans une lettre écrite de cette dernière résidence, le 9 octobre 1612, à sir Dudley[2], il parle avec enthousiasme de son bonheur : « Je suis dans ce pays-ci le plus heureux du monde. L’archevêque a beaucoup de goût pour moi. Votre Excellence le sait et veut bien s’en réjouir, car elle me fait cette grâce de me regretter et de m’aimer ; cela ajoute encore au plaisir que j’ai d’être agréable à Monseigneur. » — Il écrit le même jour à sir Isaac Wake[3], dans le même sens, mais avec plus de précision : « Il est chéri de Monseigneur… Monseigneur veut l’avoir tous les jours à sa table… Monseigneur lui fait espérer une bonne situation… Le Père Jean-Baptiste n’est pas moins favorisé ; il est en passe d’obtenir de l’archevêque d’York un bon bénéfice. »

Il est assez probable que c’est à ce moment et sous les yeux de son protecteur que Vanini composa sa Vraie sagesse, « De vera sapientia, » et son Mépris de la gloire, « De contemnanda gloria. » Ces deux livres sont perdus. Si l’on en juge par les titres, ils devaient avoir une couleur assez puritaine. Comme l’auteur excellait dans l’art d’agréer, il s’y était fait anglais pour les Anglais ; on voit par les citations qu’il en fait dans l'Amphithéâtre qu’il avait semé ces traités d’anecdotes tirées de l’histoire d’Angleterre.

Vanini s’abusait-il sur les sentiments de l’archevêque à son égard ? Je ne le crois pas ; mais il n’avait pas en lui ce qui eût pu les entretenir. Dans le milieu où il vivait, quelle que fut son adresse, la seule observation des pratiques du culte ne suffisait pas à masquer son indifférence. Il manquait de religiosité, il manquait de ferveur, et cela se sentait ; il était à mille lieues d’avoir, si je puis dire, le sens de la Bible, dans un pays où toutes les sectes s’inspiraient des passions et du langage des Hébreux.

L’archevêque de Cantorbéry s’aperçut enfin sans doute que ses néophytes n’avaient qu’un médiocre souci des biens spirituels. Il ne dit rien, mais il continua de les observer ; à mesure que leur conversion lui parut plus suspecte, il se refroidit et les traita moins bien. Les choses en vinrent à ce point, qu’avant la fin du mois de décembre 1612 il leur avait retiré sa faveur et son appui. Il y a lieu de croire qu’il les avait même déjà bannis de sa cour. Je n’imagine pas ce qu’il a bien pu dire de ses anciens protégés, dans une

  1. Idem, Ibid.
  2. Idem, p. 10. Record office, vol. 71, fº 13.
  3. Idem, p. 11. Ibid., v. 71, fº 14.