laissait voir pour ce Napolitain de tant de verve et d’esprit. Son ressentiment, chaque jour accru et que l’on se faisait peut-être un jeu d’attiser (car ce sont là d’étranges mystères), se tourna contre Vanini et devint une haine enragée et sans frein[1]. Un jour qu’ils se trouvaient ensemble avec beaucoup d’autres dans la chambre de leur commun seigneur, celui-ci demanda-t-il à Vanini un de ces services familiers dont Silvius jusque-là avait eu le privilège ? Le nomma-t-il pour tenir le bougeoir et l’éclairer — c’était un honneur — jusqu’à la garde-robe où il allait ? Dangeau et Saint-Simon nous ont habitués à ces détails. Ce fut cela ou autre chose. Le fait est que, à peine est-il sorti, Silvius, hors de lui-même, se jette armé sur son rival et le blesse[2]. Colère comme un philosophe — c’est lui-même qui le dit — et prompt à jouer du poignard, Vanini riposte et frappe un tel coup que son agresseur s’abat par terre, raide mort. Grand émoi. Aux cris de l’assistance, le maître pressent un malheur, accourt, aperçoit Silvius, se jette sur lui éperdu, l’embrasse, puis de ses mains, dit Vanini, de ses mains qu’il n’a pas pris le temps de laver, l’impur ! il caresse encore ce corps inerte et il y cherche un reste de vie[3].
Si Vanini a vu lui-même ce qu’il raconte, sa clairvoyance dans une circonstance si tragique a vraiment de quoi surprendre. Mais tout porte à penser qu’il parle par ouï-dire ; il ne faisait pas bon pour lui de demeurer là. Quoiqu’il n’eût fait que se défendre, quoiqu’il n'eût pas commis de crime selon la loi de nature[4], — c’est lui qui se rend ce témoignage, — il n’en avait pas moins tout à craindre de la vengeance du puissant patron de sa victime et, bien pis, de la sévérité des édits. C’était le temps où les conseils du gouvernement commençaient sérieusement à réprimer les habitudes de violence et le mépris de toute loi qu’avaient invétérés parmi les gens d’épée quarante ans de guerre civile. Des attentats contre les personnes ensanglantaient tous les jours le pavé de Paris. En 1607, Loménie avait voulu savoir combien il y avait eu de duels et de rencontres depuis l’événement de Henri IV : il en avait trouvé 4 000 ; nombre énorme, car il ne s’agissait sans doute que des duels qui étaient venus directement à la connaissance de la Chancellerie. Un édit avait été donné à Fontainebleau, en juin 1609, pour mettre un terme à tant d’excès ; mais, quoiqu’il portât peine de mort contre ceux qui se battraient, il n’avait été, aux mains de la justice, qu’une arme impuissante. Le garde des sceaux, Nicolas Bruslart, semblait prendre