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rieur, lequel est à son tour déterminé par un changement qui le précède, et ainsi de suite, sans que la loi de causalité permette de s’arrêter jamais à une cause qui elle-même ne soit pas un changement et ne dépende d’aucune autre. — Il semble même que le principe de causalité exclue l’hypothèse d’une cause absolument première, car une telle cause, étant elle-même sans cause, se trouverait en contradiction avec la loi fondamentale de l’investigation scientifique.

M. Flint a parfaitement démêlé le sophisme caché dans cette argumentation. De ce que la loi de causalité, dit-il, régit tous les changements de l’univers, il ne s’ensuit pas qu’elle s’applique à la cause première : celle-ci, par définition, est nécessairement d’un autre ordre que celui des causes secondes, et c’est un procédé différent de l’esprit qui nous en fait connaître l’existence. Ici, en effet, se manifeste la distinction profonde établie par Platon et toute l’école rationaliste entre la raison discursive et l’intuition pure (διάνοια, νόησις). La régression dans la série des causes secondes, voilà l’œuvre de la διάνοια, qui, à mesure qu’elle remonte l’enchaînement de termes équivalents, comprend mieux l’impossibilité de ne pas les rattacher à un premier terme, incommensurable avec les autres et qui lui-même ne soit suspendu à rien. Ἀναγϰὴ στήναι, disait énergiquement Aristote, il faut s’arrêter ; cette nécessité, l’intuition pure la saisit, et saisit du même coup la cause immuable devant laquelle expire, impuissant, l’effort du procédé discursif.

On dira que cette prétendue nécessité est toute subjective ; elle peut être une loi de notre constitution intellectuelle ; rien ne prouve qu’elle soit l’expression de la nature des choses. — Rien ne le prouve, en effet, si l’on veut dire que l’esprit ne peut sortir de lui-même et s’installer au cœur de la réalité en soi. Il est trop évident que l’esprit, quoi qu’il fasse, ne saurait connaître que par ces lois ; elles sont lui ; il ne peut pas ne pas les transporter avec lui ; la réalité ne lui est donnée que par elles : entend-on qu’il doive d’abord s’anéantir afin de n’altérer par aucun mélange de son être celui de son objet ? Nous atteignons toute la certitude possible et concevable quand il nous est démontré qu’une proposition ne peut être pensée par nous autrement qu’elle ne l’est. Or tel est ici le cas. En affirmant que toute série, fût-elle indéfinie, de changements, suppose une cause première immuable et qui n’a pas commencé, j’affirme simplement que tout changement a une cause, affirmation qui, de l’aveu de Mill, est la condition nécessaire de toute pensée scientifique. S’il n’existe pas de cause première, il n’y a pas de cause du tout, chaque événement qui en produit un autre étant