Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VIII.djvu/148

Cette page n’a pas encore été corrigée
142
revue philosophique

sous forme de volonté, engendre des mouvements. — Mais, répond Stuart Mill, il n’y a encore ici que transformation, non création de la force ; la volonté ne fait que rendre à la circulation extérieure, par les mouvements qu’elle détermine, la force latente emmagasinée dans le cerveau par la nutrition. Et l’on soutiendrait vainement que l’esprit a tout au moins ce privilège exclusif de créer non pas la force elle-même, mais des manifestations de la force, car, dit Stuart Mill, « tout ce que la volition peut faire pour créer des mouvements avec d’autres formes de force, et généralement pour dégager de la force et la faire passer d’une forme latente à un état visible, peut arriver par d’autres causes. L’action chimique, par exemple l’électricité, la chaleur, la présence seule d’un corps qui gravite, sont autant de causes de mouvement mécanique sur une bien plus vaste échelle qu’aucune des volitions que l’expérience nous présente ; et, dans la plupart des effets qui se produisent ainsi, le mouvement communiqué par un corps à un autre corps n’est pas, comme dans les cas ordinaires de l’action mécanique, un mouvement qui a d’abord été communiqué à cet autre par un troisième corps. Le phénomène ne consiste pas seulement en une communication de mouvement mécanique, mais c’est une création de mouvement à l’aide d’une force auparavant latente ou qui se manifestait sous quelque autre forme. Considérée comme un agent dans l’univers matériel, la volition ne possède donc aucun privilège exclusif de faire commencer quelque chose ; tout ce qu’elle peut faire commencer, d’autres agents de transformation peuvent aussi le faire commencer[1]. »

Mais ici un nouvel appel à l’intuition peut être tenté. Parmi les faits qui composent l’univers, dira-t-on, se trouve l’esprit ; or il est évident à priori que l’esprit seul peut avoir produit l’esprit. — Que l’esprit, répond Stuart Mill, ait commencé à une époque déterminée d’exister sur notre planète, la science l’établit suffisamment ; c’est là un phénomène, un commencement qui veut être expliqué par une cause. S’il s’agit d’une production consciente, le prétendu principe rationnel qu’on invoque est indiscutable ; mais pourquoi cette production n’aurait-elle pas été inconsciente ? Et, dans ce cas, il est fort possible que l’esprit ait été, dans le cours de l’évolution, l’effet d’autres causes que de l’esprit. L’expérience ne cesse de nous montrer des causes donnant naissance à des produits d’un ordre plus noble qu’elles-mêmes. « Combien plus nobles et plus précieux ne sont pas les végétaux et les animaux supérieurs, par exemple, que le sol et les engrais aux dépens et par les propriétés desquels ils

  1. Essais sur la religion, trad. Cazelles, p. 137, 138.